- Article
- Source : Campus Sanofi
- 18 mars 2024
Comment intégrer la probabilité clinique dans l’approche diagnostique des PID ?
Intervenant :
Pr Vincent COTTIN (Pneumologue, Lyon)
Modérateurs :
Pr Bruno CRESTANI (Pneumologue, Paris)
Pr Sylvie LEROY (Pneumologue, Nice)
Au sommaire :
00:13 | Introduction |
01:14 | Approche diagnostique de la FPI : comment gérer l’incertitude grâce à la probabilité clinique ? |
04:06 | Description de l’approche bayésienne |
08:21 | Mise en application de l’approche bayésienne |
09:36 | Vignette clinique d’une patiente présentant une PID |
10:31 | Orientation diagnostique |
12:16 | Diagnostic de l’ASMD (Déficit en Sphingomyélinase Acide) |
13:35 | Conclusion |
Pr. Vincent COTTIN : Comment intégrer la probabilité clinique dans l’approche diagnostique des PID ?
Donc, malgré ce titre qui peut paraître un petit peu compliqué, c'est en fait un message qui est vraiment destiné aux cliniciens. Voici mes liens d’intérêt. Alors je commence avec une double vignette, vous allez comprendre. Donc on a ce scanner qui est chez une femme de 58 ans, qui est une ancienne fumeuse mais qui a fumé que cinq paquets-années et qui a à l’auscultation des râles crépitants, qui ne sont pas typiques de fibrose pulmonaire idiopathique non-velcro. Elle a un phénomène de Raynaud mais une biologie auto immune négative. Le scanner thoracique montre des bronchectasies périphériques, il a été lu comme un PIC probable. C'est une maladie qui s'est installée de façon progressive avec un trouble ventilatoire restrictif. Donc devant cette situation, vous dites peut-être que c'est une fibrose pulmonaire idiopathique, mais c'est vrai que le contexte clinique n'est pas tout à fait typique. Et si on prend exactement le même scanner thoracique et qu'on vous dit que cette fois, c'est un homme de 68 ans qui a fumé 20 paquets-années et qui a des râles crépitants en velcro et qu'il a eu en plus une exposition professionnelle à un empoussiérage, on va dire qu'on a maintenant une probabilité clinique, vous diriez ? C'est probablement une fibrose pulmonaire idiopathique, même si ce n'est pas une PIC certaine au scanner thoracique.
Donc notre approche, en analysant le scanner, en fait, a été beaucoup influencée par l'analyse clinique. Et c'est vraiment le message principal ici. C'est à dire que notre avis clinique initial, il guide l'approche diagnostique. Déjà, il va guider quels sont les diagnostics différentiels qu'on envisage si on est autour de la fibrose pulmonaire idiopathique ? Est ce qu'on va vraiment beaucoup se poser la question d'une connectivite, par exemple, ou d'une pneumopathie d'hypersensibilité ? Ou est ce qu'on va rester assez convaincu d'emblée qu'on est dans un contexte de fibrose pulmonaire idiopathique ? Et puis, notre approche clinique, elle va aussi guider les investigations qu'on va faire, même s'il y a un ensemble commun d'investigations qui sera faite, on va chercher avec plus d'attention les signes cliniques de connectivite ou compléter le bilan biologique auto-immun ou rechercher des précipitines ou faire une enquête complémentaire sur l'exposition ou demander un interrogatoire professionnel spécialisé ou faire ou non un LBA, et cetera, ou faire une biopsie pulmonaire en fonction de notre approche clinique initiale.
Et puisque on prend d'abord l'exemple de la fibrose pulmonaire idiopathique. On connaît cet algorithme qui est celui des recommandations internationales. Comment est-ce qu'on essaye de l'améliorer ? Parce qu'on sait qu'il y a une incertitude quand on fait un diagnostic de fibrose pulmonaire idiopathique. La première chose qui a beaucoup amélioré l'approche, c'est de faire une discussion multidisciplinaire. On sait que ça améliore la qualité, la reproductibilité du diagnostic. Il y a des scanners et il y a des progrès qui sont fait sur la qualité du scanner ou notre interprétation du scanner, et demain peut-être en intelligence artificielle. Il y a des cas où on fait une biopsie pulmonaire. Il y a des cas où on fait un lavage broncho alvéolaire. On a maintenant des techniques d'accès à l'histologie, comme la cryobiopsie pour des cas où on ne veut pas faire de chirurgie, il y a ou il y aura des techniques de génomique sur des prélèvements endoscopiques.
Et puis en DMD, on applique un diagnostic de travail pour gérer un certain degré d'incertitude diagnostiques. On dit on surveille l'évolution de la maladie et si l'évolution est celle d'une FPI, eh bien c’est bien une FPI. Il y a en fait une chose qui manque dans cette approche et cette chose qui manque, c'est la probabilité clinique initiale, la probabilité dite pré-test. Et c'est le travail principal du pneumologue dans la discussion multidisciplinaire, c'est vraiment d'intégrer les données cliniques pour la probabilité d'une maladie et pour la FPI, on s'appuie beaucoup sur le sexe, un petit peu, sur l'âge, beaucoup, et sur la présence de râles crépitants velcro.
Alors effectivement, on a trouvé avec un groupe de cliniciens mais également de radiologues et quelques pathologistes que dans les recommandations internationales, il n'y avait pas beaucoup de place pour la clinique. Bien sûr, la clinique est mentionnée, mais il n'y a pas d'évaluation de la probabilité clinique comme il peut y avoir pour le scanner thoracique ou l'histologie.
Alors ce qu'on propose, c'est une approche bayésienne, alors c'est un terme, ça vous rappellera, je pense, quelque chose. L'approche bayésienne, on a une évaluation avant un test, quel qu'il soit, d'une probabilité, on fait un test et ce test permet de modifier cette probabilité en probabilités post-test pour mieux évaluer le diagnostic. Et c'est ce qu'on fait tous les jours ou ce qu'on apprend aux étudiants d'ailleurs, pour l'embolie pulmonaire où la priorité pré-test, on essaye de la préciser avec un score comme le score de Genève modifié. Puis le test, c'est souvent l’engioscanner thoracique et on aboutit à une probabilité en tout cas suffisante pour décider traitement ou pas traitement.
Dans la fibrose pulmonaire idiopathique, le panel d'experts a proposé à lister un certain nombre d'éléments et quand le patient se situe dans la colonne de droite, ça augmente la probabilité qu'il s'agisse d'une FPI. Si on est dans le rouge, ça diminue plutôt la probabilité qu'il s'agisse d'une FPI. Donc si c'est un homme, qu’il a plus de 60 ans, que c'est un ancien fumeur qui a des râles velcro, qui est a un hippocratisme mais qui n'a pas d'exposition, qui n’a pas de signes auto-immun, qui a un profil restrictif. Tout ça, ça a tendance à augmenter la probabilité et à l'inverse, à la diminuer. Et les deux qui ont le plus de poids là-dedans, d'après les avis d'experts, c'est l'âge. Et est ce qu'on envisage un diagnostic différentiel qui est probablement une donnée qui intègre déjà en fait pas mal d'autres choses ?
Si vous demandez l’avis aux cliniciens est-ce que vous évoquez, autre chose ou pas ? Alors on peut aussi utiliser un score, et ce score, qui a été publié par Jean Pastré, un travail de l'équipe de Steve Nathan, quand il y était, est basé sur l'âge, le sexe, l'origine ethnique, l'antécédent. Est ce qu'on a fumé ? Est ce qu'il y a des antécédents familiaux ? Et vous voyez que l’air sous la courbe n’est pas mauvaise. Donc ça permet d'avoir une estimation, d'avoir un chiffre si on veut faire un peu mieux que simplement une probabilité clinique. Alors après comment on intègre ça dans l'évaluation bayésienne. Ce qu'on a fait dans le groupe, c'est de construire ce tableau qui est un peu similaire à ce qu'il y a dans les recommandations pour le tableau entre le scanner thoracique et l’anapath. Et ici on rentre dans le tableau par une probabilité clinique. Donc est ce que cette probabilité on la juge faible, élevée ou intermédiaire ? Puis après on regarde le scanner thoracique, puis on croise et on a demandé à chacun, bon, est ce que vous pensez que dans telle situation, ça correspond à une probabilité élevée de fibrose pulmonaire idiopathique ou faible ? Ou vraiment c'est autre chose ?
Chacun a voté avec le choix. Est-ce que je n’en sais rien ? Est-ce que c'est un haut degré de confiance de FPI ? Est-ce que c'est une probabilité que ce soit plutôt autre chose ? C'est ce qui est en rose. Etcetera. Et on aboutit finalement à une proposition ou on a une correspondance entre cette probabilité clinique, le scanner thoracique et puis certains cas si on a une probabilité clinique élevée et un aspect de PIC probable, bon, il y a un i qui a sauté, mais c'est une fibrose pulmonaire idiopathique. La biopsie ne sera pas conseillée dans la majorité des cas. Si on a une probabilité intermédiaire et un scanner thoracique et indéterminé pour une PIC. Bon ben, on ne sait toujours pas, et c’est dans un cas comme ça que peut être, la biopsie pulmonaire pourra être informative.
Une fois qu'on a intégré la clinique et le scanner, on peut recommencer l'exercice. On rentre à gauche, ce qu'on est avec une probabilité élevée ou pas. Et puis cette fois, si on regarde la biopsie, si une biopsie a été réalisée et on peut faire encore la même chose pour intégrer le suivi évolutif. Est-ce que l'évolution est évocatrice de FPI ou d'autre chose ?
Donc, c'est un concept, c'est une approche. C'est une réflexion plutôt théorique mais dans laquelle on a l'évaluation clinique, puis l'évaluation radiologique, éventuellement de l'histologie, puis ensuite on continue de suivre le patient et d'évaluer le comportement de la maladie. Et à chaque étape, on peut essayer d'évaluer la probabilité qu'on a à ce moment de la maladie. Depuis, un diagnostic dit certain, c'est le vert foncé, ou le vert clair qui est un degré de confiance suffisant pour prendre une décision clinique. C'est ce qu'on appelle le diagnostic de travail de FPI. Ou en rose, c'est plutôt autre chose.
Alors, si on reprend notre exemple clinique en prenant la vignette de la femme de 58 ans, qui a peu fumé avec un scanner thoracique, de PIC probable. Si on applique cette probabilité, on se retrouve ici dans une zone de confiance insuffisante, de basse probabilité de FPI. Donc on propose une biopsie pulmonaire. Cette biopsie a montré un aspect PIC probable. Donc cette fois ci, on a un haut niveau de confiance. Ce n'est pas un diagnostic certain, mais c'est suffisant pour, disons, traiter comme une FPI. Puis, si cette patiente n'a pas eu de biopsie pulmonaire, on la suit. On voit que la capacité vitale diminue de façon progressive, exactement comme une FPI. Et donc là, c'est le comportement de la maladie qui nous permet à nouveau d'avoir un degré de confiance plus élevé dans le diagnostic et de prendre une thérapeutique. Donc deux approches complémentaires qui correspondent en fait à ce qu'on fait déjà en clinique. Mais c'est une façon de mettre un concept sur cette approche et de donner finalement plus de poids à la clinique.
Alors, est ce qu'on peut utiliser ce type d'approche dans d'autres circonstances ? Oui, évidemment. On a vu ça dans l’embolie pulmonaire, la FPI, on peut avoir ce raisonnement dans n'importe quelle situation. Et finalement, ça donne un peu plus de poids aux arguments cliniques.
Un autre exemple, c'est une femme de 66 ans qui est non fumeuse, qui a une toux sèche, une dyspnée d'effort à l'auscultation, elle n'a pas de râles crépitants, elle n'a pas d'hippocratisme, et elle a une restriction avec une altération du transfert du CO. Pour l'instant, avant même d'avoir vu le scanner thoracique, il n'y a pas de râles crépitants. On se dit que la probabilité clinique d'une embolie pulmonaire est plutôt faible. Et on regarde le scanner thoracique, ce n’est clairement pas une pneumopathie interstitielle commune. Il y a des réticulations, probablement un petit peu de fibrose, parce qu'il y a un petit peu de distorsion des scissures, mais ça diminue encore probablement notre probabilité de fibrose pulmonaire idiopathique. Alors si on prend notre algorithme, ben oui, pour la probabilité de FPI, on aboutit à la probabilité que ce soit autre chose plus importante que la probabilité de fibrose pulmonaire idiopathique.
Donc on continue de chercher. Et si vous prenez cette liste, cette classification simplifiée des pneumopathies interstitielles, si vous prenez celles qui ont du verre dépoli puisqu'on a vu qu'il y avait du verre dépoli au scanner thoracique, ça réduit déjà un petit peu. Mais finalement, il n'a quand même encore pas mal. Bon, j'ai fait ça. On pourrait discuter de certains items. Il n'y a pas forcément du verre dépoli dans chacune de ces circonstances, mais disons qu'on réduit quand même un peu les diagnostics qui sont envisageables.
Donc on continue l'examen et l'interrogatoire. Et puis on se rend compte qu'à l'examen, il y a aussi une hépatosplénomégalie et une thrombocytopénie. Donc là, pour le coup, ça réduit beaucoup notre cadre diagnostique.
Il y a la sarcoïdose qui peut donner une hépatosplénomégalie. On peut avoir une thrombocytopénie qui peut d'ailleurs juste accompagner l'aspect splénomégalie. Et puis il y a probablement d'autres, d'autres maladies et on se dit tiens, bah ça, c'est peut-être métabolique, ça ne vous surprendra peut-être pas pour ce symposium. Alors je vais essayer de prendre une liste ici tirée d'un article de Raphaël Borie, en prenant notamment des causes génétiques, lesquelles sont accompagnées potentiellement d’hépatosplénomégalie et de thrombocytopénies. Là, on réduit à quatre maladies. Ensuite, on apprend qu'en fait, il y a une consanguinité chez cette patiente. Il n'y a pas d'antécédent familial, de pneumopathie interstitielle, ni de maladies métaboliques connues, mais il y a une consanguinité. Donc les parents sont apparentés, ce qui ne réduit pas tellement la liste. Parce qu'en fait ces différentes maladies, enfin les quatre que j'ai cités avec un astérisque, sont récessives, et donc leur fréquence est plus probable s'il y a une consanguinité dans la famille. Et par contre, on finit par regarder le bilan lipidique qui montre un cholestérol-HDL effondré, ce qui pour le coup réduit beaucoup maintenant notre diagnostic et on aboutit à une proposition de déficit en sphingomyélinase acide. Donc c'est un exemple où on voit que l'on peut changer la probabilité d'une maladie en fonction d'éléments qui sont finalement des éléments cliniques ou à la fin biologique.
On a eu une approche qui est un petit peu similaire, en partant d'une approche clinique ou radio clinique, on va dire pré-test. Et puis maintenant, évidemment, le diagnostic va être facile parce que si on fait un dosage de l'activité de la sphingomyélinase acide, on a un diagnostic là pour le coup post-test qui est de 100 % si on a un dosage qui est pathologique.
Mais ce qui nous a alerté initialement, c'était le verre dépoli, et puis la consanguinité, la splénomégalie, la thrombopénie et la diminution du HDL-cholestérol. Et si, dans une pneumopathie interstitielle, on a l'un de ces éléments, et bien d'une part, on diminue beaucoup la probabilité clinique d'une fibrose pulmonaire idiopathique, et en l'occurrence, là, on augmente beaucoup la probabilité du déficit en sphingomyélinase acide, mais on pourrait tirer des exemples pour d'autres pathologies bien entendu.
Donc c'est des concepts. Ça peut paraître un petit peu artificiel. Mais en fait, ce n'est pas des idées, ce sont des pneumopathies interstitielles diffuses, là il y a une lettre qui a sauté, mais c'est aussi des idées. Mais les causes de pneumopathies interstitielles diffuses sont nombreuses, elles sont complexes et mon message, c'est que, il y a une incertitude diagnostique. C'est inhérent au diagnostic des pneumopathies interstitielles, c'est à dire que celle qui est la plus étudiée, c'est la fibrose pulmonaire idiopathique. Et dans celle-ci en particulier, on a souvent du mal à avoir une certitude diagnostique absolue. Donc il faut qu'on apprenne à gérer cette incertitude. Et pour ça, la probabilité clinique, ça nous aide beaucoup parce que ce n'est pas un diagnostic qui dépend uniquement du scanner thoracique ou uniquement de la biopsie pulmonaire. C'est un ensemble. Et si, à l'avance, on sait en commençant, si on a une probabilité clinique qui est élevée ou pas, et bien ça va déterminer la suite des examens et notre approche.
Donc le diagnostic du travail, j'en ai parlé, ça fait partie des choses qui nous aident beaucoup, mais ça, c'est rentré dans les pratiques. Un autre élément qui doit vraiment nous aider, c'est ce qu'on enseignait, qui est le doute diagnostique. C'est à dire s'il y a un truc qui ne colle pas, en gros, il faut se poser des questions, et chercher, et prendre éventuellement des checklists ou le docteur Google ou demain peut-être, d'autres outils que d'ailleurs je crois, sont en développement. Ça ça pourra nous nous aider.
Donc des éléments cliniques ou biologiques extra respiratoires inhabituels, ça a une très forte valeur pour orienter un diagnostic et pour nous guider dans les prochains examens. Donc, l'approche a été clinique. Elle guide l'approche diagnostique et elle est applicable à toute situation clinique.
Je vous remercie.
ASMD : Déficit en sphingomyélinase acide
CPLF : Congrès de Pneumologie de Langue Française
FPI : Fibrose pulmonaire idiopathique
PIC : Pneumopathie Intertitielle Commune
PID : Pneumopathie interstitielle diffuse
240306104386BT - 03/2024