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- Source : Campus Sanofi
- 27 juil. 2023
Cas clinique : Découvrez le replay présenté par le Dr. Pichard - SFP 2023
Intervenant :
Dr Samia Pichard (Pédiatre, Centre de Référence Maladies Métaboliques, Hôpital Necker Enfants Malades)
Modérateurs :
Dr Karine MENTION - Hôpital Jeanne de Flandres, Lille
Dr Samia PICHARD - Hôpital Necker, Paris
Au sommaire :
Intro
Cas Clinique
Déficit en SMA
Retour au cas clinique
Conclusion
Dr Samia PICHARD : Une histoire de taille, et si c’était une maladie rare ?
Je travaille dans le service de maladie métabolique à l'hôpital Necker. J'ai une casquette de pédiatrie générale, comme beaucoup d'entre vous, parce que je travaille dans un hôpital général d'où l'intérêt de vous présenter une histoire clinique sur une courbe de croissance et vous allez voir ça peut être assez édifiant.
Je vous ai montré ma diapo sur les liens d'intérêts.
Alors je vais commencer par vous parler de ce petit garçon qui est arrivé en consultation spécialisée plutôt hépatologique à l'hôpital Necker, à l'âge de 9 ans, alors qu'il avait été suivi à plusieurs reprises auparavant par d'autres spécialistes. En reprenant un petit peu l'anamnèse et puis ses antécédents, il s’agit d’un second enfant, avec une grande sœur de 11 ans en bonne santé. Il n'y a pas d'histoire de consanguinité. C’est un enfant qui est né à terme, qui avaient des paramètres périnataux tout à fait normaux et qui avaient surtout un développement psychomoteur strictement normal.
Concernant sa courbe de croissance, vous l'avez vu, j'ai caché une partie de sa courbe, mais je vous promets que je vais vous révéler la suite à la fin de mes diapos. En fait c'est un petit garçon qui avait un développement pondéral limite à -1DS mais par contre vous voyez qu'au niveau de la taille il a commencé à casser à partir de 7 ans. Et il est passé très rapidement à moins à -2,5DS, quasiment -3DS au moment où il a commencé à être pris en charge.
J'ai mis ici la taille cible qui a été mesurée pour calculer la taille du père et de la mère avec une taille cible qui était à 1m74. Donc on en était très loin vu qu'il était à -3DS au moment où il est pris en charge à l'hôpital Necker.
En reprenant également l'anamnèse, vous voyez qu'à l'âge de 2 ans, son médecin généraliste avait déjà constaté une hépatomégalie. Pour cette hépatomégalie, il avait fait une échographie abdominale qui a confirmé la présence de l’hépatomégalie. Et puis ce n'est qu'à l'âge de 6 ans, où ils ont fait un bilan biologique, qu’ils sont tombés sur une cytolyse. Puis par la suite, il y a eu beaucoup de retard puisque ce n'est qu'à l'âge de 8 ans qu'il a eu de nouveau à l'examen clinique une hépatosplénomégalie. Il y avait à ce moment-là une pointe de rate qui a été mesurée. L’échographie abdominale a confirmé une hépatosplénomégalie homogène, sans autre anomalie : donc pas de signe d’HTP, pas d'autre anomalie sur son échographie, avec toujours cette cytolyse hépatique, des transaminases à 200 d’ASAT et 240 d’ALAT, avec sur le bilan lipidique un cholestérol augmenté, un profil de LDL qui est très augmenté et des triglycérides élevés par rapport à son âge.
A 9 ans, il a été vu en consultation spécialisée d’hépatologie. A l'examen :
- Je vous ai montré sa courbe de poids et de taille, avec un poids à -1DS, une taille à -2,7DS, une taille cible qui était normale
- Heureusement, il n'y a pas de signe pubertaire
- Une hépatomégalie avec un foie extrêmement dur, à bord inférieur dur de 10 cm de flèche hépatique
- Une splénomégalie qui était quand même à 7 cm de débord sous hépatique
- Il n’y avait pas d'ascite
- Il n'y avait pas d’ictère
- Il n’y a pas d’hippocratisme digital, mais vous allez comprendre pourquoi par la suite je vous parle l'hippocratisme digital, c'est vrai que ça n'a pas forcément d'intérêt à ce niveau-là
- Il n'y a pas de dysmorphie
- Il n'y a pas d'autre anomalie clinique
- Et c'est un enfant qui ne se plaint de rien d'autre par la suite
- Il est bien scolarisé
- Il n'a pas de trouble de signe fonctionnel, ni cardiologique, ni digestif, ni pulmonaire, et tout va bien pour lui.
Donc à l'âge de 9 ans, quand il est arrivé, on a repris toutes les explorations qu'il a eues dans son hôpital de base. Il a eu, en raison de sa courbe de croissance qui commençait à casser à partir de l'âge de 7 ans, un bilan endocrinien. Et comme vous voyez, tout était normal :
- Ils ont exploré l'axe thyroïdien, l'axe gonadotrope, l'axe surrénalien, la prolactine qui étaient normale.
- Le dosage de l’IGF1 était légèrement diminué, mais ils ont imputé ça à son atteinte hépatique, parce qu'il avait des transaminases élevées, sans signe d'atteinte hépatique, d'insuffisance hépatique parce que le TP était normal.
- Et puis ils ont fait des tests de stimulation à l'insuline qui montrait un pic de GH tout à fait satisfaisant. Donc on n'avait pas considéré qu'il avait un déficit en GH.
- L'âge osseux été fait à l'âge de 11 ans, probablement qu'il a été fait avant, mais je m'excuse, je n'ai pas les résultats auparavant. En tout cas, à 11 ans, il y avait un vrai retard de maturation : parce qu'il était à 7 ans pour un âge chronologique à 11 ans et 9 mois.
Et donc à ce moment-là, on a repris tous les examens qui ont été réalisés, hormis l'examen et le bilan endocrinologique :
- Il y a eu un certain nombre d'examens sur le plan métabolique : l'ammoniaque, les points redox. Ils ont donc cherché toute maladie de système.
- Ils ont éliminé également une partie des maladies métaboliques. Ils ont dosé la chitotriosidase, la lipase acide lysosomale pour éliminer ce qu'on appelle la maladie de Wolman ; l'activité de la bêta glucocérobrosidase pour éliminer la maladie de Gaucher ; et les mucopolysaccharides urinaires.
- Après ils ont éliminé d'autres problèmes : l'alphafoetoprotéine était normal.
- Les hépatologues ont orienté avec les dosages vitaminiques (vitamines A et E) qui étaient normales, le CDG qu'ils ont réussi à éliminer, le dosage des profils des acides biliaires et puis ils ont éliminé la maladie de Wilson avec le cuivre sérique et la céruléoplasmine.
- J'ai rajouté également qu'à ce moment-là, il avait un scanner thoracique normal, et vous allez comprendre par la suite pourquoi il avait également une échographie normale.
Donc les hépatologues ne sachant pas de quoi l’enfant était atteint, ils ont proposé de faire une biopsie hépatique. Il avait 10 ans à ce moment-là. La biopsie hépatique a montré des éléments en faveur d'une maladie de surcharge qu'ils ont nommé « cholestérol storage disease ». Au début, ils ont pensé à la maladie de Niemann Pick de type C. Ils ont donc lancé le panel de gènes, alors que les marqueurs de cette maladie-là étaient négatifs. Et c'était sur ces marqueurs spécifiques, sur le panel de gènes et en dosant l'activité de la sphingomyélinase qu'ils ont finalement confirmé la maladie de Niemann-Pick de type B ou déficit en sphingomyélinase acide (ASMD).
Rassurez-vous, je vais vous expliquer ce que c'est, parce qu'évidemment c'est une maladie rare. C'est normal que vous ne la connaissiez pas. Et donc qu'est-ce que c'est ?
Ça s'appelle également la maladie de Niemann Pick A ou B. Pourquoi ? Parce qu'elle a d'abord été décrite par le docteur Albert Niemann en 1914. Il avait surtout décrit des cas de tout petits nourrissons avec une énorme rate, un énorme foie qui avaient décédé avant l'âge de 2 ans après une régression psychomotrice. Par la suite, en 1928, il y a eu le docteur Ludwig Pick qui a décrit des cas de maladie de Gaucher-like : donc des adultes qui ont un gros foie et une grosse rate. Et c'est qu'en 1930 où on s'est rendu compte qu’il s’agissait de la même maladie. Ils ont exactement le même profil anatomopathologique, c’est la raison pour laquelle on l’a appelé la maladie de Niemman-Pick. C’est beaucoup plus tard, en 1960, que le docteur Brady a confirmé qu'il existe un déficit d'une enzyme, la sphingomyélinase, et que c'était la même enzyme qu'on retrouvait dans les deux cas : dans la maladie de Niemann et dans la maladie de Pick. Donc la maladie de Niemann-Pick de type A et B est un spectre phénotypique entre les formes très sévères qui apparaissent dès la toute petite enfance (type A), et les formes beaucoup plus tardives (type B).
Alors qu'est ce qui se passe en réalité ? C'est ce qu'on appelle une maladie de surcharge lysosomale. Le lysosome est une organelle qui se situe à l'intérieur des cellules, dont le rôle est de dégrader les grosses molécules, qui fait que cette sphingomyélinase, qui est codée par un gène qu'on appelle SMPD1, va aller dégrader la sphingomyéline, qui est une molécule de surcharge, en la transformant en céramide. Ce qui se passe en pathologie, c'est que le gène SMPD1 va être muté, donc il va y avoir un déficit de cette sphingomyélinase, et donc une accumulation en amont de sphingomyéline. La sphingomyéline va s'accumuler dans plusieurs organes : que ce soit dans les macrophages, au niveau de la rate et du foie d’où l’hépatosplénomégalie, il va y avoir également une surcharge au niveau des poumons et également une surcharge au niveau du cerveau et des neurones. C'est une maladie extrêmement rare, les publications ont montré un taux d'incidence à 0,5 pour 100 000 naissances. Bien qu’il s’agisse d’une maladie rare il faut y penser, parce qu’on permet quand même de faire un diagnostic et vraiment améliorer la qualité de vie de ces patients-là. Enfin, la transmission est autosomique récessive
Je vous ai donc dit que c'est une maladie qui touche plusieurs organes. Dans les manifestations cliniques, on peut avoir une atteinte neurologique qui peut être assez variable en fonction de l'endroit du spectre où on se retrouve : dans les formes assez sévères de type A, et dans les formes intermédiaires de type A/B. Il peut y avoir à ce moment-là une régression psychomotrice, avec des enfants qui peuvent avoir des acquisitions psychomotrices mais qui les perdent très rapidement par la suite. Et puis on peut avoir des symptômes cérébelleux avec une ataxie, une déficience intellectuelle qui peut aller jusqu'à la neuropathie périphérique. Les complications cardiaques sont principalement liées au profil lipidique athérogène, parce qu'ils ont un cholestérol et des triglycérides qui sont élevés. Il y a une hépatosplénomégalie dans plus de 75% des cas. Dans la majorité des données publiées et dans notre expérience, ils ont quasiment tous des anomalies du foie et de la rate : ils ont tous un gros foie et une grosse rate. Il peut y avoir une augmentation des transaminases, mais qui n'est pas systématique, notamment pour les formes atténuées. Et puis surtout, il va y avoir cette atteinte pulmonaire : une fibrose pulmonaire ou une pneumopathie interstitielle qui va aller compliquer les échanges gazeux, et qui va malheureusement engendrer le pronostic vital de ces patients. Il peut y avoir des troubles de la croissance (comme sur la courbe du jeune Paul), il peut y avoir également un retard pubertaire, des douleurs osseuses, une ostéopénie. D'où l'intérêt de leur faire également des ostéodensitométries. Et puis des anomalies hématologiques mais qui sont liées à l'hypersplénisme dus à l'augmentation de la taille de la rate.
Donc je vous ai parlé de ce spectre phénotypique Niemann-Pick de type A et Niemann-Pick de type B. Pour la forme sévère, où il n'y a quasiment aucune activité enzymatique, on a la maladie de Niemann-Pick de type A. Il va y avoir une atteinte neurologique au premier plan. C'est une forme gravissime où malheureusement les enfants décèdent tous avant l'âge de 2 ans, avec une dégradation neurologique où l’on a une tâche rouge cerise quand on leur fait un fond d'œil et puis surtout, ils ont tous une très volumineuse hépatosplénomégalie. De l'autre côté du spectre, on a la maladie de Niemann-Pick de type B où il n'y a pas d'atteinte neurologique. Ce sont des adultes ou des grands enfants. Ils ont surtout une atteinte pulmonaire, avec une atteinte interstitielle pulmonaire qui peut malheureusement engendrer des difficultés au niveau des échanges gazeux, et finir avec une oxygéno-dépendance et une insuffisance respiratoire restrictive. Il peut y avoir une hépatosplénomégalie, elle est en général présente, mais ça peut passer inaperçu. Et puis entre le type A qui est la forme extrêmement sévère, et le type B qui est la forme atténuée, on a ce qu'on appelle le type A/B, avec un spectre de patients qui peuvent avoir l’hépatosplénomégalie, l'atteinte interstitielle et une atteinte neurologique à minima.
Je reviens à Paul. Je vous avais expliqué qu'on a fait le diagnostic de l’ASMD, malheureusement en ayant traîné un peu et en en ayant fait une biopsie hépatique. Alors que sur la clinique on aurait pu très rapidement faire le dosage enzymatique qui peut se faire sur une tache de sang sur buvard séché, et on aurait pu poser le diagnostic plus rapidement chez ce jeune garçon. A ce moment-là, on a complété le bilan. Il a des EFR et une épreuve de marche qui étaient strictement normales. Et quand on a refait son scanner thoracique à l'âge de 10 ans, après avoir posé le diagnostic, on s'est rendu compte qu'il avait une atteinte interstitielle pulmonaire débutante mais complètement asymptomatique parce qu'il n'avait aucun symptôme clinique. Et par contre, en raison de sa courbe de taille que je vous ai montrée, il y a eu une réunion nationale, une RCP nationale parmi les experts de cette maladie.
Donc je conclus en disant que oui, il faut évidemment bien analyser les courbes de croissance, mais il faut surtout bien examiner votre patient. Et vous voyez que ce jeune patient avait quand même une hépatomégalie, une splénomégalie avant l’âge de 6 ans, précisément à 2 ans, et malheureusement ce n'est qu'à 9 ans qu'on a pu poser le diagnostic. Donc pensez à bien examiner vos patients pour pouvoir poser les diagnostics le plus rapidement possible. Voilà je vous remercie.
7000044015 - 07/2023