- Article
- Source : Campus Sanofi
- 26 juil. 2024
Qualité de vie du patient : reprendre le contrôle de l’asthme ?
Dr Pascale Martin (Metz)
Service de pneumologie, hôpital Robert Schuman, groupe hospitalier associatif UNEOS, Metz.
Dr Élisabeth Bellet-Fraysse (Limoges)
Service de pathologie respiratoire et allergologie, CHU Dupuytren 1, CHU de Limoges.
L’objectif de la prise en charge de l’asthme est d’obtenir son contrôle. Bien que la majorité des patients puissent atteindre cet objectif, l’asthme de certains d’entre eux n’est pas contrôlé malgré un traitement optimal. Pour autant, le contrôle de l’asthme conditionne le risque futur pour le patient, notamment la survenue d’exacerbations et le déclin accéléré de la fonction respiratoire. La perception du non-contrôle de la maladie demeure un problème majeur, de même que la surestimation du contrôle de leur asthme par les patients. L’amélioration de leur prise en charge passe par la détection systématique des symptômes respiratoires, le nombre de prises de corticoïdes oraux (CSO) par an, leur prise de conscience que l’asthme est une maladie chronique, une meilleure évaluation par le médecin de leurs attentes et de la perception qu’ils ont de leur maladie.
Définition du contrôle de l’asthme
L'asthme non contrôlé est défini par le GINA(1) comme un mauvais contrôle des symptômes, et/ou au moins 2 exacerbations par an nécessitant des CSO, et/ou 1 exacerbation grave ou plus par an nécessitant une hospitalisation.
La notion de contrôle de l’asthme est indispensable pour définir l’asthme difficile à traiter et l’asthme sévère. Un asthme difficile à traiter est un asthme non contrôlé malgré des traitements de niveau GINA 4 + CSO ou 5, ou un asthme touchant des patients qui ont besoin de ces traitements pour maintenir un contrôle des symptômes et réduire le risque d’exacerbations.
Un asthme sévère se définit quant à lui comme un asthme non contrôlé malgré un traitement maximal bien conduit et une prise en charge des facteurs contributeurs, ou qui empire à la diminution des traitements de niveau GINA 4 + CSO ou 5.
Enfin, selon les recommandations de l’ERS/ATS, un patient souffre d’un asthme non contrôlé s’il présente au moins 1 des critères suivants(2) :
- exacerbations sévères (au moins 1 hospitalisation, un séjour en unité de soins intensifs ou une ventilation mécanique au cours de l’année précédente) ;
- mauvaise qualité de vie (mauvais contrôle des symptômes avec un score ACQ systématiquement ≥ 1,5 ou un score ACT < 20) ;
- utilisation fréquente de CSO (≥ 2 cures de corticoïdes systémiques d’au moins 3 j chacune au cours de l’année précédente) ;
- altération de la fonction respiratoire (VEMS < 80 % de la valeur théorique avec réduction du VEMS/CVF sous la limite inférieure à la normale après l’arrêt des bronchodilatateurs de courte et de longue durée d’action).
Conséquences d’un asthme non contrôlé
Le contrôle de l’asthme conditionne le risque futur pour le patient, notamment la survenue d’exacerbations et le déclin accéléré de la fonction respiratoire.(3) Les exacerbations graves sont plus fréquentes en cas d’asthme non contrôlé, avec un risque 5 fois plus élevé de récidive en cas d’exacerbation grave récente.(4, 5) Ces exacerbations sont associées à une progression des modifications fonctionnelles des voies aériennes à l’origine d’un remodelage bronchique et, à long terme, d’un déclin de la fonction respiratoire.(6, 7) On peut ainsi parler d’un véritable cercle vicieux de l’asthme non contrôlé (figure 1).
Les conséquences d’un asthme non contrôlé pour le patient ont également un impact sur sa vie sociale : absentéisme au travail ou absentéisme scolaire, altération de la qualité de vie, impossibilité de réaliser les tâches de la vie quotidienne, etc.
Figure 1. Le cercle vicieux de l’asthme non contrôlé.
Patient – médecin : parvenir à parler le même langage
Plusieurs études récentes, fondées sur des questionnaires et des entretiens, ont analysé la concordance entre les recommandations théoriques et la prise en charge réelle des patients. La perception du non-contrôle de la maladie demeure un problème majeur. L’étude REALISE™(8) est une enquête sur Internet menée auprès de 1 024 adultes asthmatiques français (âge : 18- 50 ans) par un autoquestionnaire quantitatif portant sur les caractéristiques sociodémographiques, le contrôle de l’asthme, la perception de la maladie et l’observance. Seuls 11 % des patients estimaient leur asthme non contrôlé, alors qu’ils étaient 48 % en appliquant les critères GINA (figure 2).
Figure 2. Niveaux de contrôle de l’asthme.
* Réponse du patient à la question : « Considérez-vous que votre asthme est contrôlé ? Oui/non » (n = 1 024).
** Établi selon les réponses du patient aux 4 questions concernant le niveau de contrôle clinique de l’asthme défini par : les symptômes diurnes du patient ; l’impact des symptômes sur les activités quotidiennes habituelles ; les réveils nocturnes ; l’utilisation de l’inhalateur de secours ; et le VEMS, quand il était connu du patient.
Au total, 56 % des répondants admettaient ne pas prendre leur traitement de fond quotidiennement. Les principales raisons évoquées pour ne pas le prendre étaient le sentiment d’un asthme sous contrôle et affectant peu les activités quotidiennes (46 % des répondants), l’oubli (21 %) et une utilisation uniquemen lors de périodes symptomatiques (14 %). Les patients asthmatiques adultes semblent surestimer le contrôle qu’ils ont de leur asthme : 89 % des patients considéraient qu’il était bien contrôlé, alors qu’il l’était en réalité chez seulement 17 % d’entre eux.
Enfin, chez l’asthmatique ayant fréquemment une exacerbation, il y a une perception moins importante des symptômes, en particulier de la dyspnée, ce qui pourrait s’expliquer par une altération des récepteurs sensoriels induite par les processus inflammatoires bronchiques. Lors de leur prise en charge sur le long terme, les attentes des patients sont multiples : information exhaustive de la part des soignants, participation à la prise de décision, prise en charge multidisciplinaire et écoute de leurs préoccupations (concernant leur qualité de vie, la reprise du sport, les activités de la vie quotidienne). Leurs objectifs sont ainsi sensiblement différents de ceux du médecin, lequel ne doit pas se limiter aux seuls critères cliniques (arrêt des CSO, réduction, voire disparition, des exacerbations) et doit avoir une attitude empathique nécessaire à l’établissement d’une relation de confiance patient-médecin.
Ainsi, il faut parler le même langage et tendre vers l’alliance thérapeutique. Dans cette enquête REALIZE se reflète un fort décalage entre la perception des patients (89 % considèrent que leur asthme est contrôlé) et le niveau de contrôle selon GINA (83 % ont un asthme non ou partiellement contrôlé). On peut alors se dire que le terme “contrôle” est perçu différemment par les patients, de même que certains critères cliniques du GINA.
L’enquête canadienne de K.R. Chapman et al.(9) avait montré que 91 % des patients considéraient leur maladie comme bien contrôlée, alors qu’elle l’était dans seulement 21 % des cas selon les critères des recommandations canadiennes. Ces enquêtes confirment que la maladie asthmatique est encore perçue comme peu grave par les patients et qu’elle ne provoque pas d’inquiétude pour une grande majorité d’entre eux. L’amélioration de la prise en charge de l’asthme passe ainsi par la détection systématique des symptômes respiratoires, la prise de conscience par le patient que l’asthme est une maladie chronique, une meilleure évaluation par le médecin des attentes du patient et de la perception qu’il a de sa maladie.(10)
Importance du contrôle des comorbidités
La prise en compte et le contrôle des comorbidités font partie intégrante de la prise en charge du patient asthmatique, les plus fréquentes étant le diabète, l’obésité, la sédentarité, mais aussi les atteintes ORL (polypose nasosinusienne).
Les recherches les plus récentes ont également mis en évidence un certain nombre d’interactions pathobiologiques entre l’asthme et d’autres organes, participant à un fond immunologique commun sous-jacent à différentes maladies.(11)
Une relation biunivoque entre l’asthme et les maladies courantes, dont les maladies cardiovasculaires, métaboliques ou neurodégénératives, ainsi que les troubles rares tels que la drépanocytose, le déficit en α1-antitrypsine et les troubles immunologiques avec hyperéosinophilie, doit être envisagée et explorée, dans le cadre d’un bilan diagnostique et d’évaluation à long terme des patients asthmatiques (figure 3).
La pertinence de cette acquisition est de la plus haute importance dans la prise en charge des patients asthmatiques et ouvre la voie à une nouvelle approche dans la perspective d’une médecine personnalisée, en plus des thérapies ciblées.
Figure 3. Aperçu des différentes affections pouvant coexister et interagir avec l’asthme bronchique. Les flèches grises et épaisses indiquent une contribution pathobiologique au développement de la maladie ; les flèches vertes et fines soulignent un impact négatif sur le contrôle, le fardeau et l’évolution de la maladie.
La rémission de l’asthme sévère de l’adulte dans le GINA 2024
Une section « Rémission de l’asthme sévère de l’adulte » a été ajoutée dans la version 2024 du GINA, parue le 7 mai 2024 [12]. Le GINA insiste sur le fait que la signification de la rémission dans l’asthme doit être expliquée aux patients : cela n’équivaut pas à une guérison permanente ni à un arrêt de leur traitement pour l’asthme.
Faisant suite au concept de « super-répondeurs », elle doit également être expliquée aux pneumologues : après 12 mois de traitement par biothérapie, critères évoqués pour la rémission clinique (amélioration du contrôle de l’asthme, pas d’exacerbation, pas d’utilisation de CSO, stabilisation ou amélioration du VEMS), rémission complète (rémission clinique, normalisation de l’hyperactivité bronchique et des marqueurs inflammatoires) et facteurs prédictifs de rémission sous traitement (bons scores ACT/ACQ, bonne fonction respiratoire, contrôle des comorbidités, asthme récent, peu ou pas de CSO en entretien au départ).
Références
- Global Initiative for Asthma. Global strategy for asthma management and prevention. 2023. https://ginasthma.org/wp-content/uploads/2023/07/GINA-2023- Full-report-23_07_06-WMS.pdf
- Chung KF et al. International ERS/ATS guidelines on definition, evaluation and treatment of severe asthma. Eur Respir J 2014;43(2):343-73.
- Osborne ML et al. Assessing future need for acute care in adult asthmatics – the profile of asthma risk study: a prospective health maintenance organization-based study. Chest 2007;132(4):1151-61.
- Miller MK et al. Recent asthma exacerbations: a key predictor of future exacerbations. Respir Med 2007;101(3):481-9.
- Bai TR et al. Severe exacerbations predict excess lung function decline in asthma. Eur Respir J 2007;30(3):452-6.
- Matsunaga K et al. Progression of irreversible airflow limitation in asthma: correlation with severe exacerbations. J Allergy Clin Immunol 2015;3(5):759-64.e.1.
- Ali Z et al. Long-term mortality among adults with asthma: a 25-year follow-up of 1,075 outpatients with asthma. Chest 2013;143(6):1649-55.
- Raherison C et al. Patient asthmatique : contrôle, ressenti et observance. Résultats français de l’enquête REALISE™. Rev Mal Resp 2017;34(1):19-28.
- Chapman KR et al. Control of asthma in Canada: failure to achieve guideline targets. Can Respir J 2001;(8 Suppl. A):35A-40A.
- Hossny E et al. Severe asthma and quality of life. World Allergy Organ J 2017;10(1):28.
- Maule M et al. Hidden comorbidities in asthma: a perspective for a personalized approach. J Clin Med 2023;12(6):2294.
- Global Initiative for Asthma. Global strategy for asthma management and prevention. 2024. https://ginasthma.org/2024-report/
7000047920 - 08/2024