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Imagerie médicale : de l’analogique au numérique

L’imagerie médicale est un terrain fertile pour les innovations. A l’origine, elle était analogique : en radiographie standard, il s’agissait de rendre visible sur un support photographique les différences d’absorption des rayons X par le corps humain. Elle est devenue ensuite numérique, engendrant des masses considérables de données : scanner un corps entier génère plusieurs milliers d’images comprenant chacune plusieurs millions de pixels…

Et ce n’était pas fini, d’autres innovations ont multiplié le nombre d’images disponibles : imagerie en trois dimensions, imagerie en temps réel, séquences fonctionnelles, multiplication des modes d’acquisition en IRM ou encore traceurs en médecine nucléaire… Avant même que l’IA ne vienne bouleverser l’imagerie médicale, les logiciels étaient déjà là pour aider les radiologues et les cliniciens à traiter ces masses considérables de données en automatisant certaines tâches : contourage automatique de structures (vaisseaux, cavités rénales, tumeurs) ; mesure d’angle, de volume ; analyse de la surface cérébrale ; mesure de perfusion régionale, etc.1

L’œil faillible du radiologue

Malgré ces aides, c’est encore l’œil du médecin qui permettait l’interprétation diagnostique. Or celui-ci n’est pas exempt de défauts : il est faillible. Il souffre par exemple d’attention sélective. Une étude a montré que 83 % des radiologues qui devaient analyser des images de scanner thoracique à la recherche d’un nodule pulmonaire n’ont pas été capables de repérer l’image d’un gorille qui avait été dissimulée sur l’un des clichés. Le gorille était pourtant 48 fois plus gros que le nodule.2,3

L’œil humain a d’autres défauts, il est fatigable, ses performances dépendent de l’expérience acquise et restent limitées : l’œil humain n’est pas le plus performant du règne animal. Une étude surprenante publiée en 2015 témoigne des capacités des pigeons à distinguer des microcalcifications bénignes et malignes sur des radiographies mammaires. Après une formation de 15 jours et 1 500 images visionnées, les pigeons arrivaient à un taux de réponses exactes de 85 %. La raison ? Une qualité de vision 10 fois supérieure à celles des humains, permettant de détecter sur les radiographies des microstructures invisibles à nos yeux... 2,4

L’ère du Deep Learning

L’IA ferait-elle mieux que les pigeons ? L’imagerie médicale est en tout cas l’un des domaines de prédilection de l’IA. La numérisation des images médicales, l’accès facilité à de puissantes ressources de calcul, la sophistication des algorithmes a permis de changer de paradigme.5

Nous sommes désormais passé à l’ère du Deep Learning (apprentissage profond), un sous-ensemble du Machine Learning (apprentissage machine). La notion de Machine Learning renvoie à la capacité d’un algorithme à produire, au bout d’un certain temps de traitement de données, une nouvelle version, plus efficace, de lui-même après avoir écarté les hypothèses considérées comme statistiquement aberrantes. Dans le Deep Learning, la capacité d’apprentissage de l’IA s’appuie sur un réseau de neurones artificiels, conçus par mimétisme avec les fonctionnalités du cerveau humain.6

La mise au point d’applications de Deep Learning nécessite de grands échantillons d’apprentissage, des dizaines de milliers d’image sont nécessaires pour entraîner l’algorithme à identifier les signes d’une pathologie. Pour chacune de ces images on lui indique si elle présente ou non des signes pathologiques. A la fin de l’apprentissage, l’algorithme arrive à reconnaître avec une excellente performance de nouvelles images présentant une anomalie.7

De meilleures images, une organisation du travail facilitée

Les apports de l’intelligence artificielle sont multiples. Les algorithmes vont contrôler les paramètres de traitement de l’image en prenant en compte les conditions d’exposition, les doses et l’anatomie des patients : les images ont un meilleur contraste, une meilleure résolution, le bruit numérique est mieux géré.5

Deuxième avantage : les doses de rayonnements reçus par les patients sont plus faibles grâce à des temps d’acquisition réduits et des reconstructions d’images performantes, 10 à 100 fois plus rapides que les méthodes antérieures. L’algorithme aide à faire mieux avec moins d’informations. Réduire la dose permet d’élargir la prescription de TDM (tomodensitométrie) ou TEP (tomographie par émission de positons) à tous les sujets qui pourraient en bénéficier, tout en réduisant le coût des examens. Ceux-ci sont moins longs - donc moins inconfortables - et le risque de bougé et de flou est réduit. L’arrivée sur le marché de ces algorithmes est imminente.5

L’IA a aussi pour objectif d’automatiser des process chronophages ou sujets à une grande variabilité entre les opérateurs humains. Par exemple, l’algorithme PARS permet de segmenter et de labelliser automatiquement tous les sites métastatiques à partir d’un examen TEP/TDM, une mesure non invasive de la charge tumorale qui se révèle être un biomarqueur prédictif pour de nombreux cancers. Les algorithmes peuvent également automatiser la segmentation des lésions tumorales sur les images TDM pour planifier les traitements de radiothérapie, faisant gagner un temps considérable au radiothérapeute et limitant les risques d’erreur.5

L’intelligence artificielle permet aussi de faciliter la détection des urgences. C’est le cas par exemple des hémorragies intracrâniennes : un logiciel a été développé pour détecter automatiquement les anomalies sur les scanners et éviter ainsi les retards liés à un flux d’examens trop élevé ou à un manque de disponibilité du radiologue.5

Enfin, l’un des avantages de l’IA est de pouvoir lisser les inégalités d’accès aux soins en diffusant massivement une expertise de pointe dans tous les territoires.5

L’IA aide au dépistage, au diagnostic

L’interprétation des images dans le cadre du dépistage est particulièrement difficile : il s’agit en effet de détecter de subtiles anomalies au sein de nombreux clichés dont la plupart sont tout à fait normaux. Ainsi 80 % des mammographies de dépistage sont normales. L’IA peut lire des mammographies avec un taux de réponses exactes de 99% : la densité tissulaire du sein exprimée en BI-RADS (Breast Imaging Reporting and Data System) est mesurée automatiquement, elle est plus reproductible et plus fiable que les mesures des cliniciens.2,5 Au-delà de la sénologie, l’intelligence artificielle est aujourd’hui challengée dans d’autres domaines de la radiologie : détection automatique des fractures, dépistage des nodules pulmonaires au scanner… Et le nombre de séances dédiées à l’IA dans les congrès phares de la spécialité explose.2,5

L’IA : une aide au pronostic

Une étude menée sur des algorithmes éduqués pour différencier des fractures vertébrales bénignes et malignes au scanner a montré des résultats proches, quoique légèrement inférieurs, à deux des radiologues. Mais la performance était optimisée en combinant les deux analyses, celles de l’IA et celle du médecin. Un autre algorithme s’est penché sur les images délivrées par un scanner du parenchyme pulmonaire de patients souffrant d’emphysème. Les résultats de la quantification par l’IA de la sévérité de l’emphysème étaient corrélés de manière significative aux valeurs obtenues par spirométrie.5

Autre possibilité offerte par l’IA : le croisement d’informations que les radiologues ne peuvent pas faire en routine. Une nouvelle discipline est apparue : la radiogénomique, qui vise à déceler des relations entre les caractéristiques d’imagerie des tumeurs et leurs caractéristiques génomiques.5

Cependant, l’expérience montre que pour l'ensemble des solutions d’IA actuellement en activité, il y a beaucoup de faux positifs et de faux négatifs, avec souvent une bonne sensibilité mais une spécificité insuffisante. Le radiologue doit donc reprendre l'ensemble des éléments détectés par le logiciel pour les valider ou non.8

Et demain ?

Une enquête menée auprès des médecins radiologues libéraux et publiée en 2020 indique que 55 % d’entre eux utilisaient déjà des systèmes d’aide au diagnostic (CAD), principalement pour le scanner et la mammographie. Et 66% des radiologues interrogés jugeaient la crédibilité des résultats de l’IA comme étant satisfaisante voire très satisfaisante.8 Les radiologues se repositionnent peu à peu face au déploiement de l’intelligence artificielle car la place de l’IA dans la santé est amenée à se développer : les projections laissent penser qu’elle sera devenue incontournable dans les cinq prochaines années avec une évolution exponentielle et un marché qui avoisinerait les 11 milliards de dollars en 2025 (versus 823 millions en 2019).9

Dans le domaine de l’imagerie, le Deep Learning va modifier profondément les pratiques. Demain, les algorithmes pourront s’intégrer encore davantage au quotidien des radiologues en triant les images, en les hiérarchisant, en analysant avec une expertise comparable à celle des meilleurs radiologues. Mais c’est en associant IA et médecin que les performances sont les plus impressionnantes, supérieures aux deux pris isolément. Libéré des taches les plus répétitives (tri des examens normaux, détection d’anomalies, mesures morphométriques), le radiologue aura plus de temps pour se consacrer à des missions plus exigeantes et stimulantes.

Comme l’indique le Dr Jean-Philippe Masson, président de la FNMR (Fédération Nationale des Médecins Radiologues) : « L’intelligence artificielle contribuera à améliorer la profondeur du diagnostic médical, mais aussi la qualité des examens pratiqués. Nous le savons : notre profession va gagner en efficacité et en réactivité. Parmi les bénéfices attendus, nous pourrons consacrer plus de temps à nos patients, en explicitant davantage nos résultats, nos conclusions et nos recommandations, y compris pour la suite de la prise en charge. »8

Place aux IA compagnons

Les radiologues pourront être soulagés d’avoir à leurs côtés une « IA compagnon », une machine performante, œuvrant 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Une IA auxiliaire, qui aide le médecin au quotidien, sans avoir la prétention de le remplacer : n’oublions pas qu’au final, c’est toujours le radiologue qui a le dernier mot, celui qui implique sa responsabilité médicale. En d’autres termes, l’IA est un simple outil d’aide à la décision.5 Espérons qu’elle le reste dans les années et les décennies à venir.

Références
  1. Brunelle F et al. Intelligence artificielle et imagerie médicale : définition, état des lieux et perspectives. Bull Acad Natl Med. 2019 ; 2003 : 683-7.
  2. Philippe Coucke. Médecine du futur. Éditions Mardaga, 2020.
  3. Drew T et al. « The invisible gorilla strikes again: Sustained inattentional blindneww in expert observers”. Psychol Sci. 2013; 24(9): 1848-53.
  4. Levenson RM et al. Pigeons (Columba livia) as Trainable Observers of Pathology and Radiology Breast Cancer Images. PLoS One. 2015 ;10(11):e0141357.
  5. Bernard Nordlinger, Cédric Villani, Olivier de Fresnoye. Médecine et intelligence artificielle. CNRS éditions, 2022.
  6. David Gruson. La Machine, le médecin et moi. Éditions de l’Observatoire, 2018.
  7. INSERM. Site internet. https://www.inserm.fr/dossier/intelligence-artificielle-et-sante/ Consulté le 7 juillet 2022.
  8. Chevalier E. Intelligence artificielle : et maintenant ? Le Médecin Radiologue de France. La Lettre de la Fédération Nationale des Médecins Radiologues. 2020 ; 437 : 8-11.
  9. Brugger PE et al. Comment redéfinir la radiologie de demain ? Le Cahier Technique. IRBM News 2022 ; 43 (2).

MAT-FR-2401691 - 11/2023