- Article
- Source : Campus Sanofi
- 7 nov. 2022
IA : Où en est-on aujourd’hui en France ?
Prenez votre plateau repas et suivez-nous. Le Dr Pierre Simon fait le bilan de l’intelligence artificielle en France en 2022.
Bonne écoute !
Intervenant : Dr Pierre Simon, ancien président de la société française de télémédecine
Journaliste : Dr Martine Perez, journaliste spécialisée dans les questions de santé.
7000041326 - 02/2023
Bonjour, je m’appelle Martine Perez, je suis médecin et journaliste, bienvenue dans ce premier épisode de Campus Cantine. Je viens de rencontrer le Docteur Pierre Simon, qui est médecin, spécialiste de l’intelligence artificielle et fondateur de la société française de Télémédecine et j’aimerais en profiter pour faire avec lui le bilan de l’intelligence artificielle en France en 2022.
Bonjour Docteur, je suis ravie de me retrouver avec vous autour de cette table, d’autant plus que j’ai pas mal de questions à vous poser. Alors, on entend de plus en plus parler de l’intelligence artificielle, mais concrètement de quoi s’agit-il ?
Alors bonjour, merci pour cette introduction. Je dirais que l’intelligence artificielle aujourd’hui est probablement la plus grande découverte du 21e siecle, elle se construit progressivement, et les applications dont nous pourrions parler c’est celles qui sont aujourd’hui opérationnelles (dans la santé en général).
J’en retiens quatre qui sont :
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dans le domaine de l’imagerie (le domaine le plus avancé),
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il y a ensuite le domaine des digital therapeutics (DTx) qui est effectivement en grande progression dans plusieurs domaines.
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il y a la robotique chirurgicale qui était déjà bien installée, notamment dans certains hôpitaux ;
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et puis il y a la télésurveillance des maladies chroniques à domicile qui va être lancée en France à partir du 1er août 2023, qui va reposer sur des dispositifs médicaux, numériques, pilotés par des algorithmes de l’intelligence artificielle.
Donc l’intelligence artificielle ce sont des algorithmes qui prennent des décisions à la place de l’humain ?
Alors, ils conseillent l’humain. Je pense qu’il ne faut pas voir dans l’algorithme une substitution à une décision de l’humain. En France d’ailleurs, on a fait attention à cela puisque dans la révision de la loi bio éthique de 2021. On a fait en sorte que l’humain ne soit pas oublié dans les décisions des algorithmes et que ce qu’on a appelé « la garantie humaine » de la décision donnée par l’algorithme (que ce soit sur le plan diagnostic ou sur le plan thérapeutique) deviennent une obligation dans la loi. On ne peut pas utiliser la décision proposée par l’algorithme sans que l’humain ne prennent la responsabilité de la confirmer.
Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples très concrets de l’application de l’intelligence artificielle en médecine ? Concrètement, moi si j’ai un problème de santé, si j’ai une radio à faire, si j’ai un soin à faire ; comment l’intelligence artificielle pourra aider (ou peut aider) à solutionner ce problème ?
Il y a de nombreuses indications actuellement. Il faut dire que dans le domaine de l’imagerie, l’évolution est assez remarquable. L’intelligence artificielle est en train de transformer le métier de radiologue, non pas de le supprimer, mais de le transformer.
La radiologie s’était caractérisée par des bilans systématiques d’imageries, 80 % des radios réalisées dans un cabinet de radiologie sont normales, en général. Donc, c’est du temps perdu pour les radiologues et donc l’intelligence artificielle va permettre de faire le tri entre les images normales, qui ne demanderont pas de temps radiologique, et les images anormales... et le radiologue se consacrera à ces images anormales.
Une deuxième application qui est intéressante c’est la télésurveillance des patient(e)s qui sont en rémission d’une chimiothérapie. Je trouve que c’est remarquable parce qu’on voit l’interaction entre l’intelligence artificielle et l’accord des patients pour leurs données personnelles de vie (parce qu’il ne s’agit pas de données de santé), à la maison quand ils sont en rémission de la chimiothérapie : ils acceptent de remplir un questionnaire chaque semaine, de l’envoyer aux correspondants en oncologie. Il y a une base de données, des données personnelles, j’insiste là-dessus, de vie réelle qui sont retraitées par les algorithmes et qui vont permettre à l’oncologue de dépister beaucoup plus tôt, les rechutes de la maladie cancéreuse.
Il y a eu dans les trois dernières années, des études qui ont été réalisées en France - parce que l’idée vient de la France, c’est un domaine français - mais ça a été également appliqué aux Etats-Unis et on a montré que dans des cancers - comme le cancer du poumon, par exemple - dont le pronostic ne bougeait pas depuis des années, on est capable aujourd’hui de faire des dépistages très précoces de la rechute et donc d’engager un nouveau traitement qui améliore le pronostic.
Alors la question que je me pose est la suivante : est-ce que ces techniques d’intelligences artificielles en santé sont déjà rentrées dans la pratique courante ?
Pour la radiologie : oui.
Beaucoup de cabinets de radiologies maintenant travaillent sur la base d’algorithmes, de la lecture d’images, dans beaucoup d’hôpitaux, c’est le cas également.
Je parle des robots aussi, qui sont aujourd’hui utilisés dans les grands CHU, pour des interventions à risque parce que le robot permet d’éviter certaines complications qui relèvent même de l’aléa thérapeutique. Je prends par exemple la prostate : enlever une prostate peut générer ensuite d’importants troubles de la libido et ce n’est pas la responsabilité du chirurgien, c’est vraiment l’aléa thérapeutique parce que les mains sont moins précises qu’un robot. Aujourd’hui avec le robot, on est en train de diminuer cette complication post-opératoire qui relevait de l’aléa et non pas d’une faute du chirurgien.
Il y a également dans un domaine auquel je tiens, c’est ce qu’on appelle les thérapeutiques digitales, notamment dans le domaine de la santé mentale, ça a fait beaucoup de progrès ces dernières années. On peut aujourd’hui accompagner un patient qui a une maladie mentale chronique par une application qui a été conçue, avec les spécialistes notamment des psychiatres et cette application à un impact direct sur l’évolution de la maladie. Ça a été démontré par des études contrôlées, randomisées, et c’est pour ça qu’on appelle ça thérapeutiques digitales aujourd’hui, parce que manifestement, il y a un impact sur l’évolution de la maladie.
Il y a beaucoup de domaines où les thérapeutiques digitales sont en train de se développer. On peut prendre l’exemple du diabète. On avait un problème avec les diabétiques jeunes qui n’arrivaient pas à bien contrôler leur diabète depuis des années et des années. Leur taux d'hémoglobine glyquée était toujours autour de 9 à 10 %. Les complications à 10 ans étaient assurées et, depuis qu’on a mis au point des applications intelligentes pour le traitement de l’insuline, qui les conseillent, à chaque dose d’insuline, prenant en compte leur activité physique, leur mode alimentaire et leur mode de vie, on a constaté que le traitement était mieux contrôlé et qu’en termes de marqueurs, qu’est l’hémoglobine glyquée, pour la première fois, on voyait le taux d’hémoglobine, au bout de 6 mois, chuter de 10 à 6 %. C’est vraiment un impact uniquement parce que le jeune patient utilise son smartphone, l’application qui est sur son smartphone pour ajuster sa dose d’insuline.
Donc finalement l’intelligence artificielle est d’ores et déjà rentrée dans la pratique courante en médecine. Mais, dans le futur quels sont les progrès qu’on peut attendre de cette intelligence artificielle ?
Alors, on peut attendre des progrès dans deux domaines.
Le premier domaine c’est les métiers de la santé. Je pense qu’aujourd’hui avec la croissance des besoins en santé, l’allongement de l’espérance de vie, les maladies chroniques... les professionnels de santé ont besoin d’être aidés dans leur organisation professionnelle. On doit leur simplifier la démarche diagnostique et la démarche thérapeutique. Dans ce domaine on avance, ce n’est pas facile parce que, pour avoir un algorithme fiable sur le plan diagnostique, il faut que les données soient représentatives d’une population donnée. Il y a toujours des trous dans la raquette dans le recueil des données de santé, c’est souvent difficile. Mais en France, on a beaucoup d’espoir dans le fameux Heath Data Hub qui, avec le DMP, va constituer une banque de données progressive.
Les chercheurs vont pouvoir travailler par des algorithmes sur toutes ces données et je pense qu’on avancera dans la meilleure connaissance des maladies et puis sur le plan diagnostique. Également sur le plan thérapeutique, on voit qu’on rentre dans une médecine plus personnalisée et qu’il y a des intolérances à certains médicaments qui peuvent être dépistés et corrigés par les algorithmes de l’intelligence artificielle. Donc c’est vraiment le futur, je dirais dans les 10 prochaines années.
En même temps, dans le métier du professionnel de santé, il y a quelque chose qui peut alléger la charge de travail. Ce sont tous les agents conversationnels, c’est la dictée médicale qui sera pilotée par l’algorithme et qui permettra certainement, d’une part de mieux tracer les données de santé pour qu’elles soient stockées justement dans ce cloud de santé, et en même temps ça permettra de dégager du temps professionnel et d’améliorer le travail de pas mal de professionnels de santé.
Donc finalement, cette intelligence artificielle, elle va sans doute modifier l’organisation des soins. Mais est-ce qu’on pourra aussi faire plus de délégation de tâches, par exemple à des infirmier(re)s pour faire des diagnostics en utilisant des algorithmes qui font des diagnostics eux-mêmes ?
Oui, je pense qu’aujourd’hui, si on prend les infirmières en pratique avancée par exemple, qui sont autorisées à faire une démarche diagnostique de type infirmières, une démarche diagnostique pour les soins délivrés, il y a déjà des applications, des algorithmes dans certains pays pour les infirmières.
Ça va progressivement modifier l’exercice et ça va favoriser la fameuse délégation des tâches dont on parle beaucoup et qui se fait difficilement... Je pense que grâce aux algorithmes, ça va certainement se développer plus rapidement.
Où en est la recherche en France sur ces questions-là ?
Alors, contrairement à ce qu’on pense, la recherche existe en France. Il y a énormément de jeunes start-ups qui travaillent sur l’intelligence artificielle. Il y a peut-être deux niveaux.
Il y a d’une part la volonté de certaines start-ups qui veulent s’impliquer dans l’éducation thérapeutique, dans le suivi en addictologie, dans le suivi des maladies chroniques… de faire en sorte que leur application soit construite avec un algorithme fiable, sécurisé. Et d’ailleurs, c’est la condition pour laquelle leur application sera référencée dans « Mon Espace Santé » qui est un magasin pour ces applications numériques.
Puis d’autre part, une évolution plus lointaine qui sera au niveau génétique. On va probablement mieux avancer sur la génétique et l’épigénétique grâce aux traitements avec les algorithmes de l’intelligence artificielle.
Alors finalement quel(s) conseil(s), vous pourriez donner aux médecins qui nous écoutent et qui voudraient en savoir plus sur la santé digitale ?
N’ayez pas peur de l’intelligence artificielle ! Elle arrive, elle doit être maîtrisée par l’humain. Je pense que sur le plan éthique, c’est très important de rappeler que ça ne remplace pas un médecin mais ça aide le médecin du 21e siècle à faire son métier différemment... et en même temps ça va lui dégager du temps médical.
C’est-à-dire que le métier du 20e siècle qui reposait sur une mémoire hypertrophiée du médecin va s’atténuer et, grâce à l’intelligence artificielle, tout ce que le médecin devait apprendre pendant ses études, sera remplacé par le traitement des données avec les algorithmes. En revanche, le médecin va connaître un nouveau métier qui va être celui de mieux accompagner les patients, de trouver, d’être plus proches des patients pour prévenir les maladies donc on est dans l’aire de la prévention.
J’aime bien ce que dit un doyen de l’Université de Pennsylvanie : « À partir de 2030 - 2035, on jugera la qualité d’un médecin, non pas sur sa capacité à traiter, mais sur sa capacité à prévenir ».
Merci beaucoup Dr Pierre Simon. Merci pour cette belle conclusion et pour cet éclairage sur toutes ces nouvelles techniques de pointe. Merci chers auditeurs et bien sûr à bientôt pour une autre discussion sur la médecine des temps modernes autour de la table de Campus Cantine, un programme proposé par Sanofi.
En savoir plus sur le Docteur Pierre Simon
- Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé à la Télémédecine dès le milieu des années 90 en développant une application de téléexpertise en néphrologie en 1995, une application de Télésurveillance en dialyse, devenue opérationnelle en 2001.
- Juriste de la santé (DESS Droit médical 1999-2002).
- Après avoir co/signé le rapport ministériel sur « La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins », avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Établissements de Santé (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins (infirmiers, pharmaciens, etc.) et dont l'objet est de promouvoir et de soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients.
Le Docteur Pierre Simon propose un blog dédié aux pratiques de télémédecine, du télésoin, enrichies des services de la santé connectée : https://www.telemedaction.org/
MAT-FR-2204485 - 08/2024