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La composition du microbiote intestinal n’est pas figée, elle évolue au fil de la vie.1

L’accouchement par voie basse permet de transmettre le microbiote maternel puis l’allaitement vient le renforcer et l’entretenir. Le microbiote intestinal continue ensuite d’évoluer en fonction des maladies, de l’alimentation, des xénobiotiques (médicaments, additifs…), des interactions sociales ou de l’activité physique.

Sa composition varie également à l’échelle de la population : dans les pays développés, le microbiote intestinal a évolué au cours du siècle dernier. Les raisons en sont multiples : développement des accouchements par césarienne, moindre recours à l’allaitement, usage croissant des antibiotiques, exposition accrue à des polluants chimiques ou encore changements nutritionnels tels que la réduction des fibres dans l’alimentation.1

Le microbiote : un acteur clé du métabolisme énergétique

Les fonctions biologiques du microbiote apparaissent de plus en plus comme essentielles à la santé : mise en place et maturation du système immunitaire, rôles métaboliques et nutritionnels, protection contre les pathogènes...3 Au niveau métabolique, le microbiote intestinal est un acteur clé, et c’est une donnée connue de longue date !2

En effet, dès la fin du 19e siècle, George Nattal et Hans Thierfelder avaient montré qu’il était possible à des hamsters de survivre sur une période prolongée en l’absence de toute bactérie dans le tractus intestinal (hamsters dits « axéniques »). Mais la survie prolongée dans ces conditions extrêmes nécessite une alimentation supplémentée qualitativement et quantitativement pour pallier les carences énergétiques et vitaminiques (vitamine A, B12, acide folique). Ainsi, les rongeurs axéniques doivent consommer 30 à 50 % de nourriture en plus pour survivre et présentent une immaturité de la vascularisation et de l’innervation gastro-intestinales, ainsi que des organes de taille inférieure à la normale.2

En effet, l’équipement enzymatique de l’organisme n’est pas capable d’hydrolyser tous les aliments complexes. Les aliments non digérés traversent l‘intestin proximal pour atteindre ses parties distales qui comprennent l’essentiel des bactéries du microbiote intestinal.2

Les fibres alimentaires retrouvées dans les fruits, les légumes, les céréales et les légumes secs, sont principalement des polyosides composés de fructose, de galactose ou de glucose. Ces polyosides ne sont pas dégradables par les amylases salivaires ou pancréatiques. La fermentation de ces fibres va conduire à la synthèse par le microbiote de métabolites de petit poids moléculaire, notamment des acides gras à chaine courte (AGCC : acétate, propionate, butyrate...), qui eux pourront pénétrer dans les cellules de la muqueuse intestinale.2 Ces AGCC seront utilisés par la muqueuse intestinale comme substrats énergétiques ou comme précurseurs dans les mécanismes de lipogenèse et de néoglucogenèse.2,3

Au-delà de son rôle dans la digestion, le microbiote intestinal participe à de nombreuses autres fonctions métaboliques : biosynthèse de vitamines (vitamines K, B1, B2, B8, B9, B12), régulation du métabolisme des acides et sels biliaires, régulation du métabolisme de la choline, métabolisme de certains acides aminés et de certains xénobiotiques.3

Un rôle dans les grands processus pathogènes

Le microbiote joue un rôle déterminant dans la santé humaine car il intervient sur les grands processus pathogènes tels que l’inflammation, le stress oxydant ou l’immunité. Son rôle a été affirmé notamment dans les pathologies métaboliques, telles que l’obésité ou le diabète de type 2.2

Microbiote et obésité : une future voie thérapeutique ?

L’obésité relève d’un grand nombre de facteurs génétiques et épigénétiques, en interaction avec les changements des habitudes de vie (modification alimentaire, sédentarité). Mais un nouvel acteur a été découvert : le microbiote intestinal.4 

Dès les années 60, des études menées sur des souris ont pointé son rôle dans la régulation du poids. Les souris axéniques ont une adiposité moindre alors qu’elles mangent et dépensent plus que les souris conventionnelles.2,4

Plus récemment, il a été montré que la transplantation fécale de souris obèses à des souris axéniques induisait chez celles-ci une prise de masse grasse. Ces données ont même été reproduites lors du transfert de flore provenant de jumeaux humains, l’un obèse et l’autre non obèse. Les souris qui avaient reçu le microbiote du jumeau obèse prenaient significativement plus de masse grasse que les souris qui avaient reçu celui du jumeau non obèse.2,4

Grâce aux séquençages du génome bactérien, le lien entre l’obésité, la baisse de la diversité du microbiote et des modifications dans sa composition a pu être mis en évidence.2

Ainsi, 40 % des personnes obèses présentent un microbiote appauvri versus 20 % en population générale, cette proportion montant à 70 % en cas d’obésité sévère.2 Dans la cohorte européenne Métacardis l’association entre prévalence des Bactéroïdes*, IMC et inflammation systémique a été démontrée : 4 % des sujets en surpoids étaient porteurs de ces bactéries versus 19 % chez les sujets obèses.2 La diminution de la diversité bactérienne constatée en cas d’obésité est associée à des perturbations de la machinerie métabolique et inflammatoire des bactéries avec un appauvrissement des bactéries aux propriétés anti-inflammatoires ainsi que des bactéries produisant des AGCC.2

Plusieurs mécanismes impliquent le microbiote intestinal dans la régulation pondérale et aident à expliquer l’association entre microbiote et obésité. En effet, le microbiote intervient dans :2

  • L’extraction énergétique de l’alimentation : les bactéries du microbiote intestinal peuvent apporter jusqu’à 10 % de l’énergie consommée par l’organisme à partir de la fermentation de composés diététiques non digestibles pour l’homme.5

  • La production de métabolites induisant la libération d’entérohormones impliquées dans la prise alimentaire. Les AGCC, en se fixant à la surface des cellules L intestinales, peuvent en effet stimuler la synthèse des peptides tels que le glucagon-like-peptide 1 (GLP-1) et le peptide YY (PYY) impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire.2

  • Le passage de certains composants microbiens dans le cerveau pour activer les centres de la satiété. Les AGCC peuvent activer les neurones anorexigènes et inhiber les neurones orexigènes, indépendamment de leur action sur la production de GLP-1 et de PYY, et moduler l’axe intestin-cerveau.2

  • L’implication dans le brunissement du tissu adipeux blanc.2

Il est intéressant également de noter que la prise en charge de l’obésité, qu’elle soit nutritionnelle, chirurgicale ou médicamenteuse, pouvait modifier le microbiote intestinal des patients. Dans l’étude clinique française MicrObese, le régime hypocalorique était associé à une amélioration des paramètres métaboliques et inflammatoires ainsi qu’à une diversification du microbiote chez certains patients.2 

Les aliments recommandés dans le cadre d’un régime équilibré (fruits et légumes, aliments riches en fibres, yaourts...) entraînent une modification positive du microbiote intestinal. À l’inverse, les émulsifiants alimentaires, souvent présents dans les aliments transformés et les édulcorants artificiels, sont associés à une altération de la composition du microbiote intestinal et à un risque ultérieur de développer une obésité et un syndrome métabolique.5

Des observations similaires ont été faites concernant la chirurgie de l’obésité, même si de nombreux facteurs peuvent expliquer la modification du microbiote, en particulier lors du bypass gastrique : modification de l’alimentation, changements de motilité intestinale, de pH (favorisant la prolifération bactérienne), modifications des incrétines et des acides biliaires.2,4

Si ces données sont riches de promesses, beaucoup d’étapes restent cependant à franchir pour identifier de nouvelles pistes thérapeutiques de l’obésité, axées sur la modification du microbiote.2

La dysbiose à l’origine du diabète ?

L’augmentation de l’incidence du diabète de type 1 et 2 dans le monde depuis quelques décennies, notamment dans les pays en voie de développement, laisse à penser que la cause est environnementale plutôt que génétique. Dans ce cadre, le microbiote joue probablement un rôle majeur.2 

Dans le diabète de type 2 (DT2), l’un des arguments clés en faveur de cette hypothèse est le rôle de l’inflammation métabolique. Au cours du DT2, on observe un état inflammatoire de bas grade lié à une diminution de la sensibilité à l’insuline dans le muscle et dans le tissu adipeux ainsi qu’à une altération de l’insulinosécrétion.5 On retrouve au sein des tissus responsables du contrôle glycémique une infiltration de cellules immunitaires diverses et une convergence de molécules pro-inflammatoires d’origine bactérienne de type lipopolysaccharides ainsi que des dérivés d’acides aminés (notamment branchés et aromatiques) qui participent au maintien de l’inflammation métabolique.2 Le microbiote intestinal est un facteur potentiel pour expliquer cet état inflammatoire de bas grade par l’endotoxémie qu’il génère.5

Les patients atteints de DT2 présentent une dysbiose : leur microbiote intestinal est moins diversifié et sa composition est altérée. Une étude d’association métagénomique (Metagenome-Wide Association Study), réalisée sur 345 sujets, a montré une diminution des bactéries produisant le butyrate (un acide gras qui améliore la sensibilité à l’insuline) chez les patients atteints de DT2. Et la modification du ratio Firmicutes/Bacteroidetes* était associée au phénotype d’insulinorésistance.5 D’autres travaux récents suggèrent qu’une altération du microbiote intestinal dérèglerait le métabolisme de l’histidine, un acide aminé présent dans de nombreux aliments, ce qui entraînerait une élévation des niveaux du propionate d’imidazole, un métabolite qui favorise l’insulino-résistance.6

L’hypothèse causale du microbiote intestinal dans le développement du DT2 est renforcée par les données liées aux différentes thérapeutiques. En effet, il a été montré que le transfert du microbiote intestinal d’individus non diabétiques vers des patients diabétiques de type 2 permettait d’augmenter leur sensibilité à l’insuline et de diminuer significativement leur taux d’hémoglobine glyquée. Cette thérapie fécale était associée à une profonde modification du microbiote intestinal des patients traités avec une augmentation de bactéries productrices d’AGCC.7 Et le traitement de la dysbiose par certains prébiotiques contribue à réduire l’endotoxémie métabolique et l’inflammation.2,4

 

Nous le voyons à travers ces exemples : une alimentation saine s’associe à un microbiote sain. Le microbiote intestinal est un véritable miroir métabolique : il est influencé par l’environnement mais influence à son tour le métabolisme de l’hôte. Les découvertes actuelles et à venir semblent ouvrir la voie à une nouvelle ère thérapeutique pour la prise en charge de la dysfonction métabolique et du diabète de type 2.2.5

* Les Firmicutes et les Bacteroïdes sont les deux phylums bactériens dominants du microbiote intestinal, représentant plus de 90 % de la population totale.9

Quelques définitions

Microbiote : ensemble des micro-organismes avec lesquels l’être humain interagit en permanence. Il existe des microbiotes sur la peau et au niveau de toutes les interfaces muqueuses de l'organisme, dont l'intestin.2

Microbiome : ensemble des génomes d'un microbiote. Par extension, on peut y inclure les transcrits (ARN messagers), les protéines, voire les métabolites issus des activités codées par les gènes du microbiome.2

Prébiotique : substrat utilisé sélectivement par un micro-organisme intestinal et conférant potentiellement un bénéfice de santé.1

Probiotique : micro-organisme vivant (bactérie ou levure) qui exerce, après ingestion en quantité suffisante, un effet bénéfique sur la santé de l’hôte au-delà des effets nutritionnels traditionnels.1,2

Xénobiotique : molécule étrangère à l’organisme, en général de nature organique, et susceptible d’exercer des effets toxiques en fonction de la période, la durée et la dose d’exposition. Sont classés dans cette catégorie aussi bien les contaminants alimentaires que les médicaments.8

Références
  1. Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Note n°33. Le microbiote intestinal, février 2022.
  2. Jean-Michel Lecerf, Nathalie Delzenne. Microbiote intestinal et santé humaine. Elsevier Masson, 2021.
  3. Le microbiote intestinal. Bull. Acad. Natle Méd., 2014, 198, no 9, 1667-1684, séance du 9 décembre 2014.
  4. Aron-Wisnewsky J et al. Microbiote et obésité : données cliniques et chirurgicales. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition. 2015 ; 19 (5-6) : 132
  5. Oussalah A. Microbiote intestinal et dysfonction métabolique. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue. 2018 ;21 (1) : 28-54.
  6. INSERM. Information presse du 1er décembre 2020. Un dérèglement du microbiote est associé à la formation d’une molécule favorisant le diabète de type 2. 
  7. Burcelin R et al. Microbiotes et maladies métaboliques. De nouveaux concepts pour de nouvelles stratégies thérapeutiques. Médecine/sciences 2016 ; 32 : 952-60
  8. Duarte-Hospital C et al. Les xénobiotiques, quel impact sur les maladies métaboliques ? Cahiers de Nutrition et de Diététique. 2019 ; 54 (5) : 286-93.
  9. Magne F et al. The Firmicutes/Bacteroidetes Ratio: A Relevant Marker of Gut Dysbiosis in Obese Patients? Nutrients. 2020 ;12 (5) :1474.

MAT-FR-2204788 - 08/2024