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Biomarqueurs 

Édito

Depuis plusieurs années, l’actualité sur les biomarqueurs est riche dans le domaine de la SEP. Nous avons choisi de centrer nos propos sur des biomarqueurs pronostiques, déjà ou très prochainement utilisables en pratique clinique, permettant en particulier de prédire ou de suivre la progression. La progression reste, en effet, un défi diagnostique et thérapeutique majeur. Faute de sensibilité de nos outils cliniques et IRM usuels, elle est par définition diagnostiquée a posteriori alors même que nous ne disposons pas (encore) de traitements permettant de stopper, voire de ralentir véritablement sa course.

Dr Géraldine Androdias (Lyon)
Dr Caroline Bensa-Koscher (Paris)

1. L’index des chaînes légères libres kappa, un biomarqueur qui pèse lourd

C. Bensa-Koscher
Miklušová M et al. Prognostic value of cerebrospinal fluid biomarkers in multiple sclerosis: the key role of kappa free light chains and a multivariate predictor for disease progression. Mult Scler Relat Disord 2024;82:105402.

La SEP peut présenter des profils évolutifs très variables selon les individus. En début de maladie, déterminer la perspective d’agressivité de la pathologie est important dans le choix du traitement et l’ajustement individuel du rapport bénéfice-risque. Au diagnostic, des facteurs cliniques et radiologiques sont associés au pronostic, ainsi que dans le liquide cérébrospinal (LCS), la présence de bandes oligoclonales (BOC). Les immunoglobulines (Ig) humaines sont composées de 2 chaînes lourdes qui déterminent leur classe (IgG, IgM, IgA, IgD, IgE) et de 2 chaînes légères (kappa ou lambda). La synthèse intrathécale de chaînes légères libres (CLL) est un marqueur plus sensible, moins cher et plus rapide que la détection de BOC dans le LCS. De nombreuses études ont montré l’intérêt diagnostique de la détection de CLL kappa (nous avons d’ailleurs évoqué cet aspect dans La Gazette n° 8), mais leur intérêt pronostique est moins bien connu. Dans cette étude rétrospective tchèque, sur 82 patients prélevés au moment du 1er événement inflammatoire puis suivis pendant 2 ans, les BOC ont été quantifiées et les concentrations d’Ig de différentes classes et de CLL kappa et lambda ont été mesurées. Parmi tous les marqueurs biologiques du LCS, la concentration des CLL kappa ainsi que leur index qui tient compte des variations de perméabilité de la barrière hématoencéphalique montraient la meilleure corrélation avec une aggravation de la maladie en termes de handicap, d’activité clinique et d’activité radiologique. Les CLL kappa sont ainsi un biomarqueur reproductible qui, associé à des caractéristiques cliniques et radiologiques, pourrait permettre d’identifier des patients nécessitant un traitement de haute efficacité de manière précoce.

2. GFAP et neurofilament, 2 biomarqueurs complémentaires

G. Androdias
Meier S et al. Serum glial fibrillary acidic protein compared with neurofilament light chain as a biomarker for disease progression in multiple sclerosis. JAMA Neurol 2023;80(3):287-97.

Dans la SEP, l’apparition d’un handicap peut être liée aux poussées et/ou à la progression pure, indépendante des poussées (PIRA), toutes 2 associées à des mécanismes physiopathologiques différents : d’un côté, une inflammation et une démyélinisation aiguës, focales, pouvant conduire à une atteinte axonale au sein des lésions ;de l’autre, une inflammation et une neurodégénérescence chroniques et diffuses. Le taux sérique de chaîne légère du neurofilament (sNfL), élément structurel du cytosquelette axonal, s’est imposé ces dernières années comme un biomarqueur de l’activité inflammatoire focale et de la réponse aux traitements de fond, mais sa valeur dans la prédiction et le suivi de la progression est débattue. Le taux de protéine acide fibrillaire gliale (GFAP), filament intermédiaire des astrocytes, mesuré dans le LCS, semble être un meilleur marqueur de progression. Toutefois, la réalisation de ponctions lombaires itératives n’est pas envisageable en routine. Dans cette cohorte suisse multicentrique, les taux sériques de NfL et de GFAP (sGFAP) ont été mesurés de manière longitudinale chez 103 patients atteints de SEP répartis en 3 groupes (maladie stable, maladie active cliniquement et/ou radiologiquement et aggravation progressive pure), comparés entre eux et à des témoins sains. Les taux de sGFAP chez les témoins augmentaient en fonction de l’âge, étaient inversement corrélés à l’IMC et étaient 14,9 % plus élevés chez les femmes que chez les hommes, c’est pourquoi les résultats ont été ajustés sur ces 3 paramètres. Les taux de sGFAP, mais pas de sNfL, étaient significativement plus élevés (+50,9 %) chez les patients présentant une aggravation progressive que chez les patients stables. En revanche, les taux de sGFAP étaient inchangés pendant les exacerbations de la maladie par rapport aux phases de rémission, alors que la différence était de 50,6 % pour les taux de sNfL. Un taux de sGFAP plus élevé au départ était associé à une perte accélérée de volume de substance grise mais pas de substance blanche tandis que l’inverse était constaté pour le sNfL. Enfin et surtout, les taux de base de sGFAP avaient une meilleure valeur pronostique pour la survenue future d’une PIRA (HR = 3,63 ; IC95 : 1,46-9,04 ; p = 0,006) que les taux de sNfL (HR = 1,90 ; IC95 : 0,86-4,19 ; p = 0,11). Ainsi, ces résultats confirment l’intérêt de la sGFAP comme biomarqueur pronostique et de suivi de progression, en complément du sNfL qui est corrélé à l’activité lésionnelle focale de la maladie.

3. Le Seigneur des Anneaux : épisode 2

G. Androdias
Reeves JA et al. Paramagnetic rim lesions predict greater long-term relapse rates and clinical progression over 10 years. Mult Scler 2024;30(4-5):535-45.

Nous avions déjà évoqué dans une précédente édition de La Gazette (la 5e) la possibilité de visualiser les lésions chroniques actives de SEP grâce à des séquences IRM de susceptibilité magnétique. Sur le plan anatomopathologique, ces lésions sont caractérisées par une démyélinisation centrale cerclée par un infiltrat de cellules macrophagiques et microgliales, riches en fer, apparaissant en hyposignal sur l’IRM encéphalique d’où leur nom de lésions avec anneau paramagnétique (paramagnetic rim lesions, PRL). Ces lésions semblent très spécifiques de la SEP. Leur corrélation avec le risque de progression était suspectée, mais n’avait jamais été démontrée dans une étude d’aussi grande ampleur. J.A. Reeves et al. ont analysé de manière rétrospective les données issues de 172 patients atteints de SEP suivis cliniquement et en IRM 3T, en moyenne pendant 10 ans. 50,6 % d’entre eux présentaient au moins une PRL à l’inclusion, et en moyenne 4. La présence de PRL était associée à un taux annualisé plus élevé de poussées (en moyenne 0,14 pour les patients PRL+ et 0,06 pour les patients PRL− ; p < 0,001). De plus, les patients PRL+ présentaient, à l’issue du suivi, une augmentation significativement plus importante du score EDSS que les patients PRL− (1,06 versus 0,61 ; p = 0,01). Le nombre de PRL était significativement corrélé au taux de variation de l’EDSS ainsi qu’au risque de survenue d’un épisode de PIRA. Une analyse statistique dite de médiation a montré que seulement 3,3 % de l’association entre la présence de PRL et l’augmentation de l’EDSS était liée au nombre de poussées. Enfin, une plus grande proportion de patients PRL+ à l’inclusion a évolué vers une forme secondairement progressive (50 % versus 29 % pour les patients PRL− ; p = 0,012). Ainsi, la présence et le nombre de PRL pourraient représenter un marqueur prédictif de sévérité de la maladie, en termes de poussée mais surtout de progression indépendante des poussées, utilisable en pratique clinique, à l’échelon individuel.

4. L’oeil, une fenêtre sur le cerveau

C. Bensa-Koscher
Cerdá-Fuertes N et al. Optical coherence tomography versus other biomarkers: associations with physical and cognitive disability in multiple sclerosis. Mult Scler 2023;29(13):1540-50.

La perte neuro-axonale est probablement le principal facteur neuropathologique du handicap dans la SEP, mais elle est difficile à mesurer in vivo. Les mesures volumétriques en IRM ne sont pas de pratique courante. La tomographie en cohérence optique (OCT) est un biomarqueur couramment utilisé pour évaluer la perte neuro-axonale. L’OCT fournit rapidement des résultats individuels sur l’épaisseur et le volume des couches rétiniennes, et présente une haute reproductibilité intra- et inter-évaluateurs. La couche plexiforme interne des cellules ganglionnaires (GCIPL) et la couche de fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires (pRNFL) contiennent respectivement les neurones et les axones des voies visuelles. L’amincissement de ces couches est bien documenté dans la SEP et reflète probablement la neurodégénérescence de tout le système nerveux central (SNC). L’objectif de cette étude suisse était d’évaluer l’importance relative de l’OCT, des mesures volumétriques en IRM et du dosage de sNfL en tant que marqueurs du handicap physique et cognitif. Pour cela, 100 patients et 52 sujets témoins ont participé à une visite comprenant, le même jour, une évaluation du score EDSS, un bilan cognitif, un dosage du sNfL, une OCT et une IRM. Les yeux ayant précédemment subi une névrite optique ont été exclus de l’analyse. Chez les patients, l’analyse multivariée a montré une association entre l’épaisseur de la pRNFL et les performances au test cognitif du Symbol Digit Modalities Test (SDMT), indépendamment des taux de sNfL, du volume encéphalique (BPF), du volume lésionnel (TLV) radiologiques ainsi que des variables confondantes que sont l’âge, le niveau d’éducation et la gêne visuelle. De même, le volume moyen de la GCIPL était indépendamment corrélé à l’EDSS. Ces résultats démontrent que l’OCT est un marqueur important et indépendant du handicap physique et cognitif. Des études longitudinales sont nécessaires pour préciser son impact pronostique.

Synthèse

Taux de GFAP sériques, lésions avec anneaux paramagnétiques en IRM, index de chaînes légères kappa dans le LCS, épaisseur et volume des couches rétiniennes en OCT, autant de biomarqueurs multimodaux liés au handicap et à sa progression qui peuvent s’ajouter aux éléments pronostiques plus traditionnels pour guider le praticien dans le choix d’un traitement initial. Leur place est également à préciser pour l’évaluation de la réponse thérapeutique avec la nécessité ou pas d’un monitoring régulier, ou bien une réévaluation à des moments clés, par exemple après un renforcement ou une désescalade thérapeutique.

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La lettre du neurologue

241014142647DT – 11/2024