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SEP et vieillissement 

Édito

Avec l’amélioration de la prise en charge de la SEP, l’allongement de l’espérance de vie et l’augmentation de l’incidence des formes de début tardif, nos patients vieillissent ! De plus, le phénotype de la maladie évolue avec l’âge : on observe une diminution de l’activité inflammatoire focale et un risque plus élevé de progression. Tout cela dans un panorama thérapeutique de plus en plus vaste mais peu étudié chez les sujets vieillissants puisque la  majorité des essais thérapeutiques concerne des patients âgés de moins de 55 ans. Ainsi, nous sommes de plus en plus souvent amenés à nous questionner sur l’intérêt de poursuivre un traitement de fond chez nos patients les plus âgés, car les risques principalement infectieux et carcinologiques, mais aussi de comorbidités et d’interactions médicamenteuses augmentent avec les années. Dans ce contexte, il nous a paru intéressant de nous pencher sur les dernières publications concernant la SEP et le vieillissement.

Dr Géraldine Androdias (Lyon)
Dr Caroline Bensa-Koscher (Paris)

1. Vous saurez tout sur l'immunosénescence !

G. Androdias
Perdaens O, van Pesch V. Molecular mechanisms of immunosenescene and inflammaging: relevance to the immunopathogenesis and treatment of multiple sclerosis. Front Neurol 2022;12:811518.

O. Perdaens et V. van Pesch dressent ici une revue détaillée des mécanismes impliqués dans l’immunosénescence (ISe) en général et de leur impact potentiel sur la physiopathologie de la sclérose en plaques (SEP). L’ISe désigne le déclin progressif de la fonction immunitaire. Concernant l’immunité adaptative, l’ISe est à l’origine d’altérations quantitatives et fonctionnelles des lymphocytes  B naïfs. Elle s’associe également à une réduction de la diversité et de l’affinité des anticorps, parfois de leur taux. L’ISe des lymphocytes T (LT), due à l’involution thymique, implique une réduction du pool de LT naïfs et une inversion du rapport CD4+/CD8+. L’ISe affecte aussi, dans une moindre mesure, le système immunitaire inné c’est-à-dire les monocytes/macrophages, la microglie, les cellules dendritiques, les neutrophiles et les cellules natural killer (NK). Avec le vieillissement, ces cellules présentent une diminution de leurs capacités migratoires, phagocytaires et cytotoxiques. Ces altérations affectent la présentation de l’antigène et, par conséquent, l’activation des LT. Tous ces processus sont impliqués dans l’augmentation de l’incidence des cancers et des infections, ainsi que dans la diminution de la réponse à la vaccination chez les personnes âgées. En parallèle, l’inflammaging (IA) correspond à une inflammation chronique de faible intensité se produisant avec le vieillissement. L’IA serait causé par une accumulation de cellules sénescentes et de lésions de l’ADN, des infections chroniques dues à des virus comme le CMV (cytomégalovirus) et l’EBV (virus d’Epstein-Barr), ainsi que par une dysrégulation du système immunitaire. Au sein du système nerveux central (SNC) par exemple, les macrophages/microglies se différencient en un phénotype pro-inflammatoire susceptible d’affecter les autres cellules résidentes du SNC (oligodendrocytes notamment). De plus, l’altération de leurs fonctions phagocytaires participe à une moins bonne réparation des tissus. Ainsi, l’ISe et l’IA sont probablement impliquées dans la diminution de l’activité inflammatoire focale et dans la neurodégénérescence progressive observées dans la SEP au cours du temps, ainsi que dans la modification du rapport bénéfice/risque (dans un sens défavorable) des traitements de fond avec l’âge.

2. Portrait d'un oligodendrocyte vieillissant

C. Bensa-Koscher
Correale J, Ysrraelit MC. Multiple sclerosis and aging: the dynamics of demyelination and remyelination.  ASN Neuro 2022;14:175909142211185.

Comme dans d’autres tissus, l’âge induit une perte des capacités régénératives. Dans cette revue, les auteurs parcourent les connaissances sur les changements liés à l’âge au sein de la lignée des oligodendrocytes (OGD), incluant des facteurs intrinsèques comme la sénescence cellulaire et des facteurs extrinsèques comme les interactions avec les cellules voisines et l’environnement extracellulaire. Ils montrent comment ces changements amènent à une altération de la substance blanche et à l’apparition de dégénérescence axonale. Ainsi, les OGD perdent, avec le vieillissement, leur capacité à fabriquer de la myéline et à la maintenir en bonne santé. Les précurseurs oligodendrocytaires (OPC) perdent leurs compétences de prolifération et de migration vers les zones démyélinisées, puis de différenciation en OGD. L’activité inflammatoire des astrocytes et de la microglie augmente avec l’âge. En parallèle, des changements neuronaux comme les altérations mitochondriales, l’augmentation du stress oxydatif, l’interruption des jonctions paranodales altèrent l’intégrité myélinique. Tous ces changements liés à l’âge diminuent l’efficacité de la remyélinisation dans la SEP.

3. Le SEP démarre habituellement chez le jeune adulte... mais pas toujours

C. Bensa-Koscher
Naseri A et al. Clinical features of late-onset multiple sclerosis: a systematic review and meta-analysis. Mult Scler Relat Disord 2021;50:102816.

Des formes de SEP de début tardif (Late-Onset Multiple Sclerosis, LOMS) existent, définies par des symptômes inauguraux survenant après 50  ans. Quelles sont leurs caractéristiques ? Dans cette  méta-analyse, les LOMS diagnostiquées selon les critères de  McDonald ou de Poser représentaient 5 % des cas identifiés et les VLOMS (Very Late Onset MS, débutant après 60 ans) entre 0,6 % et 3,6 % des SEP. Les plus touchées par la maladie étaient les femmes (65 %), avec toutefois un sex-ratio moins marqué que dans les formes du sujet jeune. Le phénotype rémittent correspondait à environ la moitié des cas diagnostiqués, alors qu’il est de 85 % dans les formes débutant chez l’adulte. La présentation clinique inaugurale était majoritairement motrice, suivie par les troubles sensitifs, les symptômes visuels et les atteintes du tronc cérébral. Le diagnostic de LOMS était rarement posé devant des troubles cognitifs inauguraux. Sur le plan radiologique, 65 % des LOMS présentaient une lésion médullaire visible à l’IRM, cette notion pouvant contribuer à améliorer la spécificité du diagnostic. Ainsi les SEP à début tardif ne sont pas si rares et se présentent différemment des SEP à début plus précoce. Compte tenu de diagnostics différentiels plus fréquents dans cette tranche d’âge, comme ceux de pathologies neurovasculaires et de myélopathies cervicarthrosiques, la vigilance est de mise pour échapper à l’erreur diagnostique ou au sous-diagnostic. Le choix thérapeutique est également à adapter à la tranche d’âge concernée.

4. Et si j'arrêtais mon traitement à 55 ans ?

G. Androdias
Corboy JR et al. Risk of new disease activity in patients with multiple sclerosis who continue or discontinue disease-modifying therapies (DISCOMS): a multicentre, randomised, single-blind, phase 4,  non-inferiority trial. Lancet Neurol 2023;22(7):568-77. 

DISCOMS est le premier essai randomisé, contrôlé, en simple aveugle, visant à démontrer la non-infériorité de l’arrêt du traitement de fond par rapport à sa poursuite chez 259 patients âgés de 55 ans et plus,  atteints de SEP, tous phénotypes confondus. Parmi les critères d’inclusion  figuraient l’absence de poussée depuis au moins 5 ans et l’absence d’activité IRM depuis au moins 3 ans. Les patients étaient sous traitement de fond pendant au moins 5 ans (avec au moins 2 ans pour le dernier traitement pris). Le critère primaire d’évaluation était le pourcentage d’individus ayant présenté une activité de leur SEP, définie soit par une nouvelle poussée, soit par l’apparition ou l’expansion d’une lésion T2 sur l’IRM, au cours d’un suivi de 2 ans. La non-infériorité n’a pas pu être démontrée sur le critère combiné (clinique ou radiologique), mais était atteinte pour le critère clinique seul : 2,29  % des patients ayant arrêté leur traitement de fond ont présenté une poussée versus 0,78 % de ceux du groupe poursuite du traitement de fond (p  =  0,005). Ainsi, l’arrêt d’un traitement de fond est envisageable chez les patients de 55 ans et plus dont la maladie est stable depuis plusieurs années, sans élévation significative du risque de poussée mais sans pouvoir exclure une discrète augmentation de l’activité IRM. Précisons toutefois que dans cette étude, l’âge moyen des patients était de 63 ans, que leur maladie évoluait en moyenne depuis 22 ans et que 73 % d’entre eux étaient traités par immunomodulateurs injectables. 

Synthèse

Ces données, tant fondamentales que cliniques, nous permettent de mieux appréhender les problématiques rencontrées chez nos patients SEP plus âgés. La question que nous nous posons de plus en plus souvent à l’heure actuelle est celle d’un possible arrêt du traitement de fond à partir d’un certain âge. L’étude DISCOMS, publiée tout récemment, confirme qu’une désescalade est possible. Nous verrons si les autres études randomisées en cours dont l’étude française  STOP- I - SEP vont dans le même sens et nous permettent d’affiner les critères de sélection des patients à qui proposer un tel arrêt. 

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La lettre du neurologue

240418153943RZ – 04/2024