Réservé aux professionnels de santé en France

Chaque semaine, on peut découvrir dans les médias ou les réseaux sociaux les nouvelles avancées de l’intelligence artificielle (IA), dans tous les domaines, notamment la santé. Certaines avancées sont purement spéculatives tandis que d’autres sont déjà utilisées à l’heure où vous lisez ces lignes. Aujourd’hui, de plus en plus de médecins s’interrogent face à des évolutions que l’on pensait issues de romans de science-fiction :
« Demain, l’IA remplacera-t-elle les médecins ? » Voici quelques éléments de réponse…

Intelligence artificielle en médecine : des robots et des hommes

La robotique est surement la discipline qui symbolise le mieux l’intelligence artificielle aux yeux du grand public. Dans le domaine médical, on pense bien sûr aux « robots chirurgiens » qui ne remplacent pas le chirurgien mais augmentent sa précision, et ils ne sont pas seuls : en santé, les robots sont – presque – partout.

Certains modèles peuvent réaliser des échographies à distance, d’autres manipulent des cathéters lors d’angioplasties tandis que d’autres tiennent le rôle d’un « GPS » lors d’interventions de neurochirurgie. 1

Les robots ont aussi envahi les EHPAD. Une centaine d’établissements français ont accueilli des « robots sociaux ». Leurs missions sont nombreuses : inciter les résidents à faire un peu d’activité physique, les assister lors de leurs déplacements en lieu et place du fauteuil roulant ou même leur tenir compagnie : les robots compagnons peuvent créer une vraie relation émotionnelle avec les résidents. 1,2

L’exemple de Paro est significatif. Imaginé par un chercheur japonais, Paro est un bébé phoque en peluche qui peut remuer les nageoires, cligner des yeux, pousser des petits cris et reconnaître s’il est caressé ou maltraité. Simple, mais efficace : les études ont montré que Paro avait un effet bénéfique sur la santé mentale et physique des personnes âgées et diminuait leur stress. Il est aujourd’hui adopté dans des maisons de retraite du Japon et du monde entier.2,3

La présence de robots au sein des EHPAD n’a pas vocation à remplacer les soignants mais plutôt à libérer un peu de leur temps qu’ils pourront consacrer à des activités nécessitant plus d’attention et de précision. Par exemple, pour déambuler, un robot peut remplacer un accompagnant humain, en particulier si la personne âgée n’a pas envie de discuter. Comme le résume Serge Guérin, sociologue et spécialiste du vieillissement « la machine ne remplacera jamais le lien humain, le regard, la bonté, la bienveillance. »2

L’IA ascendant cancer

Lors de la prise en charge d’un cancer, une quantité innombrable de données sont produites : textes, données numériques, images médicales, séquences génomiques d’ADN ou d’ARN, données issues d’applications numériques ou de dispositifs médicaux… Pour utiliser ces données dans le cadre de recherches ou d’apprentissage machine (« machine learning »), les centres de lutte contre le cancer et les CHU ont mis en place des entrepôts de données de santé.4

Une des problématiques actuelles est de réussir à identifier la tumeur primitive des cancers d’origine inconnue (CUP pour « cancers of unknown primary ») qui représentent 2 à 3 % de l’ensemble des cancers diagnostiqués chaque année. Le transcriptome, c’est-à-dire l’ensemble des molécules d’ARN présentes dans une cellule, de dizaines de milliers d’échantillons de tumeur a pu être caractérisé depuis une dizaine d’années.

Ces données sont un terreau fertile pour l’IA. L’institut Curie a justement développé un outil qui utilise les données moléculaires pour identifier l’origine tissulaire des CUP. Cette IA réussit à établir un diagnostic du tissu d’origine dans 79 % des cas. Cet exemple illustre les apports des nouvelles technologies dans la prise en charge diagnostique et thérapeutique des patients en pratique courante. Et ici, l’IA ne remplace pas le médecin mais l’accompagne dans sa pratique. 4

Dans l’imagerie en oncologie, l’IA a créé un nouveau paradigme. Pour trois raisons essentielles : la numérisation massive des images, les capacités de calcul de plus en plus puissantes et les progrès réalisés dans la conception des algorithmes. Grâce à ces innovations, les images seront de plus en plus précises, de meilleure qualité, et permettront même de réduire les doses reçues par les patients lors des examens réalisés avec la TDM (tomodensitométrie) et la TEP (tomographie par émission de positons).

L’analyse des clichés sera de plus en plus automatisée afin de libérer les radiologues de tâches chronophages ou qui restent sujettes à une grande variabilité entre opérateurs. C’est le cas, par exemple, de l’algorithme PARS qui segmente et labellise automatiquement tous les sites métastatiques à partir d’un examen TEP/TDM.

L’IA permet également d’automatiser la segmentation des lésions tumorales pour planifier les traitements de radiothérapie.4 Enfin, la radiomique, une méthode prometteuse permettant, à partir d’un très grand nombre de paramètres quantitatifs extraits d’images radiologiques et confrontés à la réalité clinique et biologique, de découvrir de nouveaux biomarqueurs diagnostiques, pronostiques ou prédictifs, est en constant progrès.5

Anatomopathologie : la vague des lames virtuelles

Si l’on entend souvent parler des progrès de l’intelligence artificielle en radiologie, ceux réalisés en anatomopathologie sont moins médiatisés. Pourtant ils existent. Grâce, tout d’abord, à la démocratisation de la numérisation des lames colorées, appelées « lames virtuelles ». Une fois numérisées, les lames peuvent être analysées à distance, par plusieurs experts et de façon simultanée, être intégrées aux dossiers informatisés des patients et se transmettre en un claquement de doigts grâce à des serveurs dédiés. Elles peuvent aussi être scrutées par les algorithmes de reconnaissance des formes. Les logiciels d’aide à la décision diagnostique sont de plus en plus performants.4

Une étude menée aux Pays-Bas a comparé la lecture faite par des logiciels versus 11 méthodologistes. Les meilleurs logiciels ont détecté plus rapidement les métastases que les pathologistes avec une fiabilité au moins comparable.6 Les études se multiplient et donnent à voir ce qu’on pourrait appeler une « pathologie augmentée ». A partir d’une coloration par de l’hémalun-éosine-safran (HES) et grâce à la puissance du deep learning, la décision médicale deviendra plus objective et reproductible.

Est-ce à dire que les algorithmes remplaceront l’anatomopathologiste ? Sûrement pas. La validation des résultats doit rester un acte médical, pour des raisons à la fois juridiques et pratiques, la décision produite par la machine restant non interprétable. Et dans tous les cas, il existe encore de nombreux freins à la généralisation de ces processus : les algorithmes d’IA ne sont pas encore assez implémentés dans les laboratoires d’anatomopathologie ; on manque de données annotées, commentées ; on ne dispose pas des caractéristiques démographiques, épidémiologiques des patients dont sont issus les prélèvements…

Enfin, rappelons que les algorithmes sont censés donner une réponse attendue à une question donnée : un algorithme dédié à la recherche d’un cancer prostatique ne pourra pas détecter une infection.4

Les années à venir seront sûrement cruciales pour l’avenir de l’anatomopathologie, nul doute que la spécialité va évoluer et que les praticiens devront être aidés d’ingénieurs ou de bio-informaticiens pour comprendre et traiter les masses d’informations à venir.4

Ophtalmologie : tous les yeux se tournent vers l’IA

La question du remplacement des médecins par des machines s’est posée sérieusement en 2010 dans les colonnes d’Ophtalmology Times. L’éditorial fut sans appel : « Les ordinateurs et les machines qu'ils contrôlent peuvent réaliser des prouesses, avoir l'air extrêmement intelligents et même susciter notre affection. Mais, aussi doués qu'ils puissent devenir, j'ai toujours pensé qu'ils ne pourraient pas remplacer les médecins… Jusqu'à aujourd'hui. »

La raison ? La découverte par ce journaliste de l’existence d’IDx-DR, un logiciel capable de détecter les signes de la rétinopathie diabétique avec d’aussi bons résultats que les ophtalmologues. En effet, l’IDx-DR peut identifier une rétinopathie diabétique modérée ou sévère dans 87,2 % des cas pathologiques et une absence de maladie dans 89,5 % des clichés de rétines saines ou ne présentant qu’une forme légère de la maladie. Ces résultats ont convaincu la FDA d’autoriser en 2018 la commercialisation de ce dispositif, une première dans l’histoire de l’IA.

C’est ainsi qu’aux USA, le recours à un ophtalmologue n’est plus nécessaire pour le dépistage de routine de la rétinopathie diabétique. Le patient peut se rendre chez un médecin généraliste qui dispose de cet appareil au cabinet. Le système photographie la rétine, l’envoie sur un serveur où l’analyse est faite à distance. Le programme fournit alors au médecin deux options : soit le fond de l'œil révèle des anomalies, auquel cas IDx-DR recommande d'adresser le patient à un ophtalmologue ; soit l'analyse ne révèle pas d'anomalie et l'examen peut être reproduit un an plus tard. (2)

La multiplication des données générées par les technologies utilisées en ophtalmologie permet de voir émerger de nombreux projets utilisant l’IA dans cette spécialité. Est-ce que cela signe la disparition à terme des ophtalmologues ? Sûrement pas, répondent Serge Picaud et José-Alain Sahel, de l’Institut de la Vision : « Rien ne pourra remplacer la démarche d’explication et le dialogue basés sur un nombre croissant de données. La décision finale relèvera finalement toujours du colloque singulier patient-médecin. » Même s’ils précisent également que ces innovations technologiques devraient être intégrées au cœur de la formation médicale…4

Quel avenir pour la relation médecin – IA ?

Pour le Conseil National de l’Ordre des Médecins, il est évident qu’aucun robot ne pourra réagir aux phrases prononcées si souvent par les patients : « j’hésite », « j’ai peur », « aidez-moi » et parfois même : « que feriez-vous si j’étais votre mère, votre père, votre sœur, votre frère, votre fils ou votre fille ? ».

C’est pourquoi le CNOM affirme que la médecine comportera toujours une part essentielle de relations humaines, quelle que soit la spécialité, et ne pourra jamais s’en remettre aveuglément à une « prise de décision » d’algorithmes dénués de nuances, de compassion et d’empathie. Il est donc essentiel que le développement et les recours à ces technologies ne puissent pas avoir pour mission de remplacer la décision médicale partagée avec le patient, qui reste singulière.1

L’INSERM rappelle que le médecin reste le seul habilité à porter un diagnostic et qu’il doit pouvoir garder son autonomie face à la machine. Il doit être en mesure de comprendre le pourquoi et le comment des décisions affichées et de les contourner si besoin. Concevoir des systèmes dont le fonctionnement est transparent, explicité et traçable, reste fondamental.7

Et il est tout aussi fondamental d’intégrer les professionnels de santé à la construction de modèles et d’outils aux côtés de scientifiques et d’ingénieurs. Les médecins sont en effet les plus à même de comprendre les enjeux de l’IA dans la santé. Pour cela, il paraît nécessaire de développer les enseignements de l’IA pour le corps médical. L’objectif : aider les médecins à utiliser les systèmes d’IA de manière éclairée pour compléter, défier - et pourquoi pas contredire - les résultats fournis par les machines…8

Petit glossaire de l’intelligence artificielle

Deep Learning (ou « apprentissage profond ») : Algorithmes qui permettent aux logiciels de s’entraîner à effectuer des tâches en exposant des réseaux de neurones multicouches à de grandes quantité de données.8

Intelligence artificielle : Discipline qui consiste à reproduire par la simulation numérique sur un ordinateur les intelligences humaines.8

Machine Learning : Le Machine Learning (ou « apprentissage machine ») utilise des techniques statistiques qui permettent aux machines de s’améliorer dans des tâches avec de l’expérience.9

Point de singularité technologique : Théorie hypothétique qui stipule l’existence, même lointaine, d’un point de basculement dans le futur à partir duquel les machines maîtriseraient l’intelligence générale et aurait la conscience d’exister.8

Système expert : Outils capable de reproduire les mécanismes cognitifs d’un expert.7

Références
  1. Ordre National des Médecins. Conseil National de l’Ordre. Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielles. Analyses et recommandations du Cnom. Janvier 2018.
  2. Ouvrage collectif. Nouvelle enquête sur l’intelligence artificielle. Médecine, santé, technologies : ce qui va changer dans nos vies. Champs actuels, 2020
  3. Petersen S et al. The Utilization of Robotic Pets in Dementia Care. J Alzheimers Dis. 2017;55(2):569-74.
  4. Bernard Nordlinger, Cédric Villani, Olivier de Fresnoye. Médecine et intelligence artificielle. CNRS éditions, 2022.
  5. Perre Vande S et al. Radiomique : mode d’emploi. Méthodologie et exemples d’application en imagerie de la femme. Imagerie de la Femme. 2019 ; 29 (1) : 25-33.
  6. Bejnordi BE at al. Diagnostic Assessment of Deep Learning Algorithms for Detection of Lymph Node Metastases in Women With Breast Cancer. JAMA. 2017;318(22):2199-210. 7. INSERM. Site internet. https://www.inserm.fr/dossier/intelligence-artificielle-et-sante/ Consulté le 09/06/2022.
  7. Jean A. Une brève introduction à l’intelligence artificielle. Médecine/sciences. 2020 ; 36 (11) : 1059-67.
  8. Brocker L et al L’intelligence artificielle en médecine : intérêts et limites. Oxymag. 2019 ;32 (167) : 8-13.

MAT-FR-2202671 - 04-2024