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Pr Sokol, vous êtes gastro-entérologue, PU-PH à l’AP-HP et spécialiste des maladies inflammatoires de l’intestin. En cas de dysbiose, il existe différentes solutions pour rééquilibrer le microbiote intestinal. Avant d’aborder ces perspectives thérapeutiques, pourriez-vous nous rappeler ce qu’est une dysbiose ?

Harry Sokol : On parle de dysbiose en cas d’altération du microbiote, à la fois en termes de diversité et de qualité. La dysbiose va induire des effets délétères sur l’hôte et peut jouer un rôle dans la survenue, l’aggravation ou la chronicisation de certaines maladies.1

Quels sont les facteurs qui peuvent avoir un impact sur le microbiote ?

Harry Sokol : Nous pouvons recenser plusieurs facteurs qui peuvent avoir un effet bénéfique - ou au contraire délétère - sur le microbiote, et ainsi être à l’origine de dysbiose. Tout d’abord, l’alimentation : une alimentation riche en fibres permet de stimuler les bonnes bactéries de l’intestin. À l’inverse, les aliments ultra-transformés peuvent agresser le microbiote intestinal via les additifs (émulsifiants, les conservateurs, les colorants...) qu’ils contiennent. La consommation trop fréquente de viande rouge ou de charcuterie est aussi à éviter, car ces aliments vont stimuler des bactéries pro-inflammatoires. Si on devait résumer, je dirais que le régime idéal pour le microbiote est probablement le régime méditerranéen : il est riche en fruits et légumes, pauvre en protéines d’origine animale (sauf le poisson), il contient un peu d’aliments fermentés et bien sûr aucun aliment ultra-transformé.1,2

Mais l’alimentation n’est pas le seul facteur. Il en existe d’autres. Par exemple, certains médicaments pris sur le long court ou de façon répétée peuvent perturber le microbiote, c’est bien sûr le cas des antibiotiques, mais on se rend compte que d’autres médicaments peuvent aussi avoir un effet sur le microbiote. Le mode de vie au sens large peut également avoir un effet sur le microbiote, par exemple vivre à la campagne versus vivre en ville…1,2

Et pour rééquilibrer ou restaurer ce microbiote, quelles sont les différentes solutions ?

Harry Sokol : Je dirais qu'avant tout il faut agir sur l'alimentation, en particulier dans un objectif de prévention c'est-à-dire avant la survenue d’une maladie. C'est pourquoi je conseillerais d'adopter un régime méditerranéen comme nous l'avons explicité précédemment.

En dehors de l'alimentation, je citerais les probiotiques, et plus particulièrement les probiotiques de nouvelle génération (PNG) qui sont encore en développement.2 Les PNG permettraient d'apporter des bonnes bactéries à l'organisme.3,4

Nous pouvons aussi évoquer certains virus, les phages, qui peuvent être utilisés pour s’attaquer spécifiquement à certaines mauvaises bactéries, sans causer de dommages collatéraux sur les autres bactéries.5

Enfin, il faut citer la transplantation de microbiote fécal qui a pour objectif d'apporter un écosystème complet à un individu et qui n’est aujourd’hui indiquée que dans les infections multirécidivantes à Clostridioides difficile.6,7

Écouter aussi : Podcast Microbiote et transplantation fécale : applications actuelles et perspectives

Parlons un peu plus précisément des probiotiques de nouvelle génération (PNG). Pouvez-vous nous expliquer ce qu’ils sont ?

Harry Sokol : Oui bien sûr. Rappelons que les probiotiques classiques sont des micro-organismes que l'on retrouve le plus souvent dans l'environnement (produits fermentés, végétaux, etc.). Quant aux PNG, ce sont des micro-organismes identifiés dans l'intestin humain et qui ont des effets attendus plus importants que ceux apportés par des bactéries isolées issues d'un végétal par exemple. Les PNG sont sélectionnés selon des critères particulièrement rationnels et pertinents.2

Pourriez-vous nous donner un exemple ?

Harry Sokol : Nous avons travaillé sur Faecalibacterium prausnitzii4, une bactérie dominante du microbiote intestinal normal. Elle représente à elle seule plus de 5 % du microbiote sain.2 Cette bactérie est moins présente dans certaines pathologies voire totalement absentes, notamment au cours de la maladie de Crohn. Et nous nous sommes rendu compte que moins cette bactérie était présente, plus les patients présentaient un niveau d’inflammation important. L’hypothèse que nous avons émise est que cette bactérie pouvait avoir des effets anti-inflammatoires. Nous avons donc testé et confirmé cette hypothèse dans différents modèles.4

Aujourd'hui une start-up (https://www.exeliombio.com/) travaille sur cette bactérie pour en faire un potentiel candidat au statut de PNG notamment dans la maladie de Crohn. Un essai clinique vient d'ailleurs de commencer. *

Pour quelles pathologies pourrait-on envisager ces perspectives thérapeutiques ?

Harry Sokol : Des perspectives thérapeutiques peuvent être envisagées dans les pathologies dans lesquelles le microbiote joue un rôle. Par exemple, dans les infections récidivantes à Clostridioides difficile, le rôle du microbiote est établi. Dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin, le microbiote joue un rôle probablement important.1,8 Il joue aussi un rôle au cours du syndrome de l'intestin irritable et du syndrome métabolique9, probablement de façon variable d'un patient à l'autre et d’une importance moins centrale que dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI).

Dans le domaine de l'immuno-oncologie de plus en plus d’études montrent que le microbiote joue effectivement un rôle dans l'efficacité des immunothérapies. Nous avons des résultats chez l'animal et des essais cliniques sont en cours. On peut donc imaginer que les PNG seront probablement utiles dans les années à venir dans ces indications afin d'optimiser l'efficacité de l'immunothérapie.10-12

Enfin dans les pathologies neuropsychiatriques certaines données suggèrent que le microbiote joue aussi un rôle, cependant ces données sont encore très hypothétiques et nous n'en sommes qu’au stade de la recherche.2

Nous voyons donc que le microbiote joue un rôle dans de nombreuses pathologies mais nous ignorons encore quel est son poids relatif au sein des autres facteurs impliqués. Pour certaines pathologies, le microbiote est un acteur fondamental, et il est intéressant d’étudier des pistes thérapeutiques basées sur celui-ci, alors que pour d'autres pathologies il joue probablement un rôle mineur et il n'y aurait pas d'intérêt à explorer un éventuel impact thérapeutique.

Je pense qu'il est en effet important de ne pas créer de faux espoirs sur des perspectives thérapeutiques illusoires alors que nous nous posons encore de nombreuses questions qui restent pour l'instant sans réponse…2

Pouvez-vous nous parler des symbiotiques, ces associations entre pré- et probiotiques ?

Harry Sokol : Rappelons tout d'abord que les prébiotiques sont des composés qui vont stimuler les bonnes bactéries de notre intestin. Les prébiotiques sont disponibles en pharmacie sous forme de compléments, mais également dans les fruits et légumes sous forme de fibres alimentaires.2  Les prébiotiques vendus dans le commerce sont des dérivés de ces fibres : il est donc plus intéressant de consommer des fruits et des légumes qui apporteront d'autres bienfaits nutritionnels, comme les vitamines par exemple. En matière de tolérance, il faut préciser que les prébiotiques peuvent induire des ballonnement et des flatulences.

Concernant les symbiotiques, c’est-à-dire les associations de prébiotiques et de probiotiques, il en existe aujourd'hui assez peu. En théorie, il est intéressant d'essayer de combiner un probiotique et un prébiotique, c'est-à-dire le nutriment du probiotique. Mais en pratique, les prébiotiques ne sont pas spécifiques d'une bactérie et ne vont donc pas être spécifiquement consommés par le probiotique que vous apportez.2

Les prébiotiques vont donc être utilisés par les autres bactéries du microbiote et entraîner des effets qui ne seront pas spécifiques voire des problèmes de tolérance, de type ballonnement et flatulences dont nous venons de parler.

Nous voyons également dans le commerce de plus en plus de tests diagnostiques qui promettent de lire dans le microbiote intestinal comme dans un livre ouvert… À quoi servent-ils et peut-on s’y fier ?

Harry Sokol : Comme nous l’avons vu, beaucoup de données s’accumulent pour dire que le microbiote joue un rôle dans de nombreuses pathologies et il y a aussi beaucoup d’études suggérant que le microbiote pourrait être utile dans certains cas pour établir un diagnostic ou prédire l’efficacité d’un traitement. Cependant, les tests actuellement disponibles en vente directe pour les consommateurs n’ont malheureusement pas d’intérêt médical à ce jour et ils ne sont d’ailleurs pas recommandés par les sociétés savantes. Il est important de dissuader les patients de les utiliser, car cela peut générer de faux espoirs, notamment chez des patients atteints de maladies graves. On peut cependant espérer que, dans un avenir proche, de futurs tests basés sur le microbiote seront aboutis et validés.13

Pour explorer un peu plus la thématique de la transplantation de microbiote fécal, consultez le podcast du Pr Sokol en cliquant ici.
Pour découvrir le microbiote en bande dessinée : « Les extraordinaires pouvoirs du ventre » du Pr Harry Sokol. (De Boeck Supérieur, 162 pages, septembre 2022)


* étude en cours NCT05542355

Glossaire

Dysbiose : altération du microbiote en diversité et en qualité qui va induire des effets délétères sur l’hôte et potentiellement jouer un rôle dans la survenue, la gravité, la chronicité de certaines maladies.1

MICI (maladies inflammatoires chroniques de l'intestin) : les MICI regroupent la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, pour lesquelles on observe une inflammation de la paroi du tube digestif.14

Prébiotique : composés dont se nourrissent les bonnes bactéries dans l'intestin.2

Probiotique : microorganismes apportant un bénéfice au bon fonctionnement de l'organisme. Les probiotiques classiques sont des microorganismes retrouvés dans l’environnement le plus souvent (produits fermentés, végétaux, etc.).2

PNG (probiotique de nouvelle génération) : microorganismes retrouvés dans l’intestin humain.2

Symbiotique : combinaison de prébiotiques et probiotiques.2

Références
  1. Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Note n°33. Le microbiote intestinal, février 2022.
  2. Jean-Michel Lecerf, Nathalie Delzenne. Microbiote intestinal et santé humaine. Elsevier Masson, 2021
  3. Depommier C et al. Supplementation with Akkermansia muciniphila in overweight and obese human volunteers: a proof-of-concept exploratory study. Nat Med.2019;25(7):1096-103.
  4. Sokol H et al. Faecalibacterium prausnitzii is an anti-inflammatory commensal bacterium identified by gut microbiota analysis of Crohn disease patients. Proc Natl Acad Sci USA.2008;105(43):16731-6.
  5. Federici S et al. Targeted suppression of human IBD-associated gut microbiota commensals by phage consortia for treatment of intestinal inflammation. Cell.2022;185(16):2879-2898.e24.
  6. Sokol H et al. Fecal microbiota transplantation to maintain remission in Crohn’s disease: a pilot randomized controlled study. Microbiome.2020;8(1):12.
  7. Benech N et al. Fecal microbiota transplantation in gastrointestinal disorders: time for precision medicine. Genome Med. 2020;12(1):58.
  8. Lavelle A et al. Gut microbiota-derived metabolites as key actors in inflammatory bowel disease. Nat Rev Gastroenterol Hepatol. 2020;17(4):223-37.
  9. Agus A et al. Gut microbiota-derived metabolites as central regulators in metabolic disorders. Gut. 2021;70(6):1174-82.
  10. Routy B et al. (2018). Gut microbiome influences efficacy of PD-1-based immunotherapy against epithelial tumors. Science. 2018;359(6371):91-7.
  11. Gopalakrishnan V et al. (2018). Gut microbiome modulates response to anti-PD-1 immunotherapy in melanoma patients. Science. 2018;359(6371):97-103.
  12. Baruch EN et al. Fecal microbiota transplant promotes response in immunotherapy-refractory melanoma patients. Science. 2021;371(6529):602-9.
  13. SNFGE. Site internet. https://www.snfge.org/actualite/aucune-utilite-clinique-des-tests-actuels-bases-sur-lanalyse-du-microbiote-intestinal Consulté le 9 mars 2023.
  14. INSERM. Site internet. https://www.inserm.fr/dossier/maladies-inflammatoires-chroniques-intestin-mici/ Consulté le 9 mars 2023

MAT-FR-2204791 - 08/2024