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- Source : Campus Sanofi
- 23 mars 2023
Microbiote et transplantation fécale : applications actuelles et perspectives
Un rendez-vous régulier à retrouver sur Sanofi Campus.
Intervenant : Pr Harry Sokol, gastroentérologue à l’hôpital Saint-Antoine, Paris.
Journaliste : Dr Martine Perez, journaliste spécialisée dans les questions de santé.
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Bonjour, je m'appelle Martine Perez, je suis médecin et journaliste.
Bienvenue dans ce nouvel épisode de Campus Cantine.
Aujourd'hui, nous avons la chance de nous installer à la table du Professeur Harry Sokol. Il est hépato gastroentérologue à l'hôpital Saint-Antoine. Une occasion idéale pour faire le point sur l'innovation en matière de microbiote et de transplantation de microbiote fécal.
Bonjour Professeur Harry Sokol. Merci de m'accorder du temps pendant votre pause. J'ai plusieurs questions à vous poser sur ce sujet.
Tout d'abord, pour que l'on comprenne le contexte, pouvez-vous nous rappeler concrètement en quoi consiste la transplantation de microbiote fécal ?
La transplantation de microbiote fécale consiste à apporter le microbiote d'un sujet sain chez un patient qui a une maladie pour laquelle on pense que le microbiote joue un rôle. Et bien sûr, avec comme objectif d'avoir des effets positifs sur la maladie.1,2
Actuellement, dans quelle(s) situation(s) la transplantation de microbiote fécal est-elle indiquée ?
Actuellement en France, et d'ailleurs partout dans le monde, il y a une seule indication à la transplantation de microbiote fécal dans le cadre du soin courant. Cette indication, c'est une infection par une bactérie qui s'appelle Clostridioides difficile, qu'on appelait autrefois Clostridium difficile, qui est une bactérie qui va se développer dans nos intestins lorsque le microbiote va être perturbé, particulièrement après une prise d'antibiotiques.1-3 À ce moment-là, il va y avoir de la place dans notre intestin et cette bactérie va en profiter pour proliférer et induire une inflammation qui peut avoir des conséquences parfois très graves.2
Alors quels sont les résultats que l'on obtient avec cette transplantation de microbiote fécal ?
Dans ces infections à Clostridium difficile, le problème principal ce sont les formes récidivantes. C'est à dire qu'un patient va faire une infection. On va le traiter de manière classique par des antibiotiques et c'est d'ailleurs là aussi, un petit peu paradoxal, puisque ce sont des antibiotiques qui ont causé cette infection... et on va également traiter par des antibiotiques.3
Mais lorsque l'on va utiliser ces antibiotiques, certes le Clostridium difficile va être altéré, son niveau va baisser dans l'intestin, mais on va aussi taper sur les bonnes bactéries du microbiote environnant. Et donc, à la fin du traitement antibiotique, on va se retrouver dans une situation où la bactérie Clostridium difficile est à un niveau bas dans l'intestin, mais les bonnes bactéries aux alentours sont également à un niveau bas.2
Il va alors y avoir une sorte de compétition, une course, entre le microbiote normal et cette bactérie Clostridium difficile et malheureusement c'est souvent la bactérie Clostridium difficile qui va gagner cette course, ce qui va conduire à une récidive de l'infection. C'est dans ces formes récidivantes et notamment multi récidivantes de cette infection que la transplantation fécale est extrêmement efficace puisqu’elle marche dans 80 à 90 % des cas1,2, alors que le traitement classique, dans cette situation, va marcher dans 20 à 30 % des cas maximum.2
Aujourd'hui, on en fait régulièrement de ces transplantations de microbiote fécal dans cette indication ?
Oui, on en fait plusieurs centaines en France. Pas encore assez, probablement parce que les médecins ne sont pas tous au courant de l'utilité de ce type de traitement. Et aussi parce que ce traitement n'est pas disponible partout.
Il y a quelques centres en France qui sont vraiment en pointe sur l'utilisation de la transplantation fécale dans cette indication, comme par exemple à l'hôpital Saint-Antoine à Paris. Mais clairement, il y a de la place pour augmenter le nombre de ce type d'interventions dans le pays.
Justement, est-ce que vous pouvez nous dire aussi où en est la recherche dans d'autres pathologies ? Quelles sont les études dont les résultats actuels semblent porteurs ? Même si j'ai bien compris, pour l'instant, il y a une seule indication officielle.
De manière assez logique, lorsqu'on se rend compte dans une pathologie que le microbiote est altéré et que, notamment grâce à des expérimentations chez la souris essentiellement, on se rend compte que le microbiote va effectivement jouer un rôle dans la maladie. L'étape d'après, c'est d'essayer de corriger ces altérations du microbiote et la transplantation fécale est un outil assez évident.
Parmi les pathologies dans lesquelles on sait que le microbiote est réellement impliqué de manière certaine, on a les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI) comme la maladie de Crohn (MC) ou la rectocolite hémorragique. Et dans ces maladies, on a des essais cliniques, particulièrement dans la rectocolite hémorragique (RCH) qui sont tout à fait clairs et qui montrent un effet positif de la transplantation fécale.2
Le problème dans ces pathologies, c'est que ce sont des pathologies chroniques et donc une transplantation fécale ne va pas suffire. Probablement qu'il faudrait, si on voulait réellement utiliser ce type de traitement pour le long terme, répéter ces interventions.
Il y a d'autres pathologies dans lesquelles il y a des essais cliniques ?
Tout à fait, alors il y a d'autres pathologies digestives.
Le syndrome de l'intestin irritable par exemple, où on a des données un peu controversées, parfois une étude positive, parfois une étude négative.4
On a des pathologies de type syndrome métabolique avec des signaux positifs mais qui sont extrêmement faibles. Donc on ne croit pas qu'on va réellement pouvoir guérir le syndrome métabolique avec la transplantation fécale.2
On a des données également dans certaines pathologies neuropsychiatriques qui commencent à arriver.5 Il y a une étude, dont la méthodologie est loin d'être parfaite, dans l'autisme, avec une légère amélioration, particulièrement sur les troubles digestifs.6
Et puis on commence à utiliser, dans des essais cliniques (encore une fois que dans la recherche) ce type de traitements, dans le cancer, particulièrement pour améliorer l'efficacité de certains traitements anticancéreux et notamment l'immunothérapie anticancéreuse.7
J'avais vu un certain nombre de publications sur transplantation de microbiote fécal et obésité. Est-ce que c'est juste une hypothèse absolument non démontrée ?
Alors dans les essais qui ont testé la transplantation fécale chez des patients avec syndrome métabolique, souvent il y a une obésité avec et, ce qui a été observé c'est absolument net, c'est une amélioration du syndrome métabolique, c'est à dire une amélioration notamment de la sensibilité à l'insuline, mais absolument aucun effet sur l'obésité.8
Alors, la transplantation du microbiote fécal suscite également des questions en termes de risque de transmission d'agents pathogènes infectieux. Qu'en est-il ? Comment limiter ce risque et comment on prépare ce fameux microbiote à être transplanté ?
C'est une question absolument fondamentale parce que, dans le grand public et pour beaucoup de patients, il y a une perception de naturalité de la transplantation fécale de quelque chose, finalement presque un traitement « bio ». Mais évidemment, ce n'est pas le cas. Ce n'est pas du tout anodin de prendre des selles d'un être humain et de les apporter à un autre être humain. Il faut se rappeler que dans la dissémination des maladies infectieuses, les selles sont parmi les premiers vecteurs de dissémination de ces infections.1,2
Le plus compliqué dans la transplantation fécale, c'est de trouver des donneurs qui soient les plus sûrs possibles.
Chez les donneurs potentiels, outre un questionnaire sur leurs antécédents médicaux et bien sûr le fait qu'ils n'aient pas voyagé dans des zones exotiques récemment, qu'ils n'aient pas pris d'antibiotiques récemment, on fait des tests extrêmement larges, à la fois dans le sang et dans les selles, pour s'assurer qu'il n'y a pas de pathogènes. On voudrait éviter de transmettre un virus, une bactérie ou un parasite qui serait pathogène.2
On s'assure aussi qu'il n'y a pas de bactéries multirésistantes.
C'est essentiellement ça mais ça représente une somme de tests très importante, beaucoup plus importante que ce que l'on fait avec les dons du sang. Ce qui fait qu'on estime que pour 100 donneurs qui se présentent pour donner leurs selles, il y en a moins de trois qui, à la fin, peuvent réellement donner leurs selles pour la transplantation fécale.
Il y a des banques de microbiote fécal ? Il y a des donneurs qui se présentent spontanément ? Comment ça se passe ?
Il y a en France quelques endroits qui sont des équivalents de banques. Effectivement, il y en a une à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, à Lyon, à Toulouse et à Clermont-Ferrand. Ce sont les quatre principaux endroits où cette activité a lieu.
Trouver des donneurs, ce n’est vraiment pas simple. Parce que donner du sang ce n’est déjà pas facile, mais les selles... il y a une part d'intimité qui est qui est là. Et donc, trouver des donneurs de selles, c'est vraiment très compliqué. Au début, on cherchait des donneurs dans la famille des patients parce qu’il y avait un intérêt presque direct au don. Maintenant, on ne fait plus ça, on cherche des donneurs qui le fassent vraiment volontairement et de manière altruiste.
Je suis sûre qu'on va finir par en trouver quand les résultats seront rendus largement publics et que la population saura que l'on peut traiter des personnes avec ce microbiote fécal. Pour conclure, quelles sont les perspectives de la transplantation du microbiote fécal à court terme et à moyen terme ?
Alors, à court terme, ce que l'on souhaite, c'est déjà que le plus de patients possible atteints d'infections à Clostridioides difficile puissent bénéficier de ce type de traitement, parce que réellement, ça change les choses.
On a vraiment la perception, en tant que médecin, d'un traitement quasi « magique ». Les gens souffrent souvent pendant des semaines et des mois à cause de ces formes multi-récidivantes d'infections. On leur fait une transplantation et en 24 heures, ils sont sur leurs pieds et ils peuvent quasiment retourner travailler.
Donc il y a vraiment un bénéfice très important à le faire. Et donc cette activité, elle se structure en France pour pouvoir justement permettre au maximum de patients d'en bénéficier.
Ensuite, à plus long terme, si on s'intéresse à des pathologies chroniques et fréquentes. On peut penser aux maladies inflammatoires de l'intestin, à des maladies comme le syndrome métabolique ou à d'autres pathologies fréquentes et chroniques. La transplantation fécale, ça paraît assez compliqué de l'utiliser.
Pourquoi ? Parce que les contraintes logistiques sont extrêmement importantes. Les selles, c'est un matériel qui n'est pas figé. Si on prend les selles d’un même donneur à différents moments, leur composition va être différente. Et donc, ce n'est pas un produit stable comme un médicament classique.2
Donc s'il s'agit de traiter des centaines de milliers de patients et ce, pendant des dizaines d'années, on ne va pas s'en sortir, ça va être trop compliqué. Donc finalement, il y a une recherche sur le microbiote qui cherche finalement à aller à l'étape d'après. Et l'étape d'après, c'est d'identifier, dans le microbiote, ce qui est actif, certaines bactéries ou d'autres composants, certaines molécules et réellement d'en faire de nouveaux médicaments.
L’une des pistes, ce sont notamment ce qu'on appelle les probiotiques de nouvelle génération (PNG) qui sont des bactéries issues du microbiote, contrairement aux probiotiques classiques qui sont en vente aujourd'hui et qui sont le plus souvent issus de l'environnement. Là, il s'agit d'aller identifier dans le microbiote intestinal humain, des bactéries avec des effets biologiques puissants, pour les faire pousser dans une usine où on n'aura pas de problème pour potentiellement alimenter des centaines de milliers ou des millions de patients... et les donner aux patients comme des médicaments.9
Merci beaucoup Professeur Harry Sokol pour cet éclairage sur toutes ces nouvelles techniques et avancées médicales. Merci chers auditeurs et à bientôt pour une autre discussion sur la médecine des temps modernes autour de la table de campus Cantine.
En savoir plus sur le Professeur Harry Sokol
Harry Sokol est professeur dans le département de Gastroentérologie de l'hôpital Saint-Antoine (APHP, Paris, France), co-directeur de l'équipe « Microbiote, Intestin et inflammation » (INSERM CRSA) et chef du groupe Imipath (INRA, MICALIS).
Il coordonne le Centre de Transplantation de microbiote fécal de l’AP-HP et la Fédération hospitalo-Universitaire PaCeMM (Paris Center For Microbiome Medicine).
Pour découvrir le microbiote en bande dessinée : « Les extraordinaires pouvoirs du ventre » du Pr Harry Sokol. (De Boeck Supérieur, 162 pages, septembre 2022)
Références
- Cammarota G et al. European consensus conference on faecal microbiota transplantation in clinical practice. Gut. 2017;66(4):569-80.
- Sokol H. Transplantation fécale. Synthèse des nouvelles recommandations. POST’U 2018.
- McDonald LC et al. Clinical Practice Guidelines for Clostridium difficile Infection in Adults and Children: 2017 Update by the Infectious Diseases Society of America (IDSA) and Society for Healthcare Epidemiology of America (SHEA). Clin Infect Dis. 2018;66(7):e1-e48.
- Hillestad EMR et al. Gut bless you: The microbiota-gut-brain axis in irritable bowel syndrome. World J Gastroenterol. 2022 Jan 28;28(4):412-431.
- Cryan JF et al. The Microbiota-Gut-Brain Axis. Physiol Rev. 2019;99(4):1877-2013.
- Kang D-W. et al. Microbiota Transfer Therapy alters gut ecosystem and improves gastrointestinal and autism symptoms: an open-label study. Microbiome (2017) 5:10.
- Ting NL et al. Cancer pharmacomicrobiomics: targeting microbiota to optimise cancer therapy outcomes. Gut. 2022;71(7):1412-25.
- Aron-Wisnewsky J et al. Fecal Microbiota Transplantation: a Future Therapeutic Option for Obesity/Diabetes? Curr Diab Rep. 2019;19(8):51.
- Jean-Michel Lecerf, Nathalie Delzenne. Microbiote intestinal et santé humaine. Elsevier Masson, 2021.
MAT-FR-2204794 - 08/2024