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- Source : Campus Sanofi
- 6 nov. 2023
Podcasts Patients : découvrez "Conversations Multiples"
Découvrez notre série de trois épisodes de podcasts autour du myélome multiple intitulée
« Conversations Multiples », réalisée en collaboration avec l’AF3M.
Ces épisodes vous emmènent dans le monde d'Alain, un patient qui a décidé de partager son expérience sur la maladie. Au cours de ces conversations, il sera accompagné de trois de ses aidants : son fils, son hématologue et son amie ancienne collègue de travail.
Ces conversations mettent en lumière les défis et les profondes réflexions qui accompagnent un parcours de santé marqué par la maladie.
EPISODE 1
Alain & son fils :
le choix de préserver sa famille
EPISODE 2
Alain & son ancienne collègue: quand la maladie bouleverse les relations au bureau
EPISODE 3
Alain & son hématologue : l'admiration d'un spécialiste pour son patient
Dans ce premier épisode, Alain et son fils nous parlent de leur parcours depuis le moment où le mot « myélome » a résonné dans leur vie. Comment le dire à leurs proches ? Comment ce dialogue a-t-il permis d’affronter la maladie ?
Alain
Alain, 62 ans, malade du myélome depuis mai 2012, après une approche et des recherches de la maladie six mois auparavant.
Christophe
Christophe, 46 ans, je suis le fils d'Alain.
Alain
Pour l'approche, ça a commencé en octobre 2011. Rhume, fatigue à rallonge et rhume sans fin jusqu'au mois de mars 2012. Et de recherche en recherche avec mon médecin généraliste.
Alain
Prise de sang avec recherche de la vitesse de sédimentation qui était à 140 confirmées sur trois prises de sang successives pour un maximum de 20. La lettre du médecin généraliste directement pour l'hôpital Henri-Mondor, service hémato avec le docteur Belhadj qui, après des examens et recherches approfondies sur un mois, le mois d'avril 2012, me confirmait le 2 mai 2012 que j'étais atteint d'un myélome. Sachant que moi- même, myélome, je n'avais jamais entendu parler du myélome. Je ne savais pas ce que c'était, ce que ça concernait. Et là, il me lâchait le mot de cancer. Donc, ce fut un choc très brutal et il a fallu ensuite faire l'approche auprès de mon fils.
Christophe
Et moi, quand il m'a annoncé « Myélome », je ne savais même pas l'écrire, donc encore moins ce que c'était. Donc, je suis resté bloqué également sur le mot « cancer ».
Alain
Donc phase d'angoisse, anxiété profonde, perdu. Il fallait se raccrocher, mais quoi ? Qui ? Comment ? La présentation n'a pas été aisée du tout.
Alain
Trouver les mots fut très difficile, car je ne les avais même pas moi-même. J'étais complètement perdu, puis je ne maîtrisais pas du tout le myélome, ce que c'était, comment expliquer, quel traitement. Parce que pour arriver sur le traitement, moi, j'ai une particularité, c'est que je suis très long à la prise de décision. Donc j'étais indécis. Faire une présentation dans ce sens, parler du myélome, de dire « Je vais me soigner ? je ne vais pas me soigner ? et quel traitement ?» Ça a été une approche anxieuse et je pense que mon fils n'a pas tout apprécié, je dirais, sur la présentation, parce que ce n'était pas clair.
Christophe
Oui, moi, j'ai été un réceptacle aux angoisses, aux interrogations avec absolument aucune connaissance et en fait, avec, dès le départ, un choix de dire « De toute façon, je n'ai pas de connaissance médicale, je n'ai pas d’avis sur le côté médical ».
Christophe
L'annonce, elle a été brève et assez peu détaillée. Alain chez lui venant de rentrer de l'hôpital en état de choc. Moi, sur la moto avec le casque en Bluetooth, pas sûr d'avoir compris tous les mots avec la circulation parisienne autour. Voilà, je me suis quand même arrêté. J'ai posé la moto, j'ai débranché le Bluetooth, j'ai repris le téléphone, on a répété un petit peu.
Se dire qu'on en parle longuement, ça serait donner plus d'importance au temps que celui qui lui a été consacré. Une fois que chacun avait l'information, voilà, cancer incurable. On s'arrête là- dessus. On se dit bon, maintenant, on va accompagner, on verra le temps que ça durera. Puisqu'à l'époque, il n'y avait pas d'espoir de guérison. La vraie question, c'était combien de temps ça dure ? Se dire qu'en 2023, on se retrouverait dans un studio d'enregistrement pour faire un podcast, c'était clairement de la science-fiction.
Christophe
J'ai réfléchi un petit peu à ce que j'allais dire à la maison, entre ma compagne et les enfants, où justement, on a fait le choix de... Enfin, j'ai fait le choix, c'était mon choix et je ne l'ai pas beaucoup partagé, de ne pas vraiment impliquer les enfants, au- delà de simplement leur permettre d'être présents.
Alain
Je sais que j'ai été très bref, même si par moments, certains me disent que je peux être très bavard et compagnie. Ça a été très bref. Oui, je pense qu'il y a eu y avait une brutalité, mais je ne me rendais pas compte du tout. J'étais perdu, donc j'ai dit, j'ai livré comme on pourrait dire livré. Tiens, j'ai gagné au loto. Vraiment. Et puis après, ça y est, on coupe tout. Mais il a fallu de la patience à Christophe, c'est vrai, pour après, bien sûr qu'on a développé, mais bien après l’effet d'annonce. Il a fallu déjà que moi, j'arrive à digérer, c'est un mot trop fort, mais il a fallu que j'appréhende, que j'approche la maladie, que j'aille avec quelques informations, même avec des consultations à l'hôpital, parce que j'ai toujours eu de l'information aux questions posées, des réponses apportées. Au fil du temps, je pouvais un peu éclairer mes propos, mais l'annonce était passée. Je ne pouvais pas revenir en arrière, même si après coup, je me rendais compte que ça a dû être très dur pour Christophe.
Christophe
Ça a été dur, oui, abrupt. Et après, je me souviens que l'une de mes premières questions, j'avais sauté une génération, mais ça a été la question à moi- même et j'ai cherché après et sans trouver vraiment de réponse, est-ce qu'éventuellement ça peut être génétique ? Et comme j'avais deux garçons et que j'avais du côté de ma campagne des cas de cancer du sein, là, on était sur un cancer à un homme, je me suis dit « Est-ce que mes garçons, ils peuvent être concernés ? Moi, j'étais complètement passé à la trappe dans l'histoire. Et du coup, je me suis inquiété pour mes garçons de savoir s'il y avait éventuellement des tests à faire pour se prémunir ou ce genre de choses.
Alain
C'est vrai, mais là, la réponse était non. Il n'y a pas de transmission de cancer.
Alain
Alors, autant l'annonce de la maladie par rapport à mon fils a été brève, brutale de ma part, autant dans mon parcours et mon suivi des soins, j'avais la disponibilité totale de Christophe qui me permettait, moi, de pouvoir le joindre. Alors, pas en journée de travail, etc, mais il était disponible, ce qui me permettait d'évacuer un peu toute la partie soins, les inconvénients des soins, des transports, des cures. Ça m'apaisait. Je pouvais échanger, même s'il ne pouvait pas faire grand- chose par rapport à moi. Mais le gros avantage, il m'écoutait et il était patient. Même si des fois, il ne me disait pas qu'il ne pouvait rien faire. Mais il comprenait bien sur la maladie, dit que les traitements étant des traitements, là, il ne pouvait pas intervenir.
Christophe
J'ai eu, pour ma part, une carrière sportive assez développée. Aujourd'hui, je fais de l'encadrement de jeunes sportifs et je me mets toujours à un point d'honneur à ce que chacun soit à sa place, les parents, les entraîneurs, les copains, les copines. Je me suis dit « C'est un peu la même chose. Il faut vraiment laisser le médecin soigner et moi, n'être qu'à la place de la famille, du soutien éventuellement, de l'écoute, mais rien d'autre, parce que toutes les recherches, de toute façon, qu'on pouvait faire, en plus à l'époque, sur le myélome, il y avait finalement très peu d'informations disponibles, pas d'avis plus que ça. La seule intervention « médicale » que j'ai eue, à l'époque, est de prendre avis auprès d'un de mes amis pour avoir la recommandation d'un deuxième médecin. Du coup, envoyer Alain voir un autre médecin après l'annonce du diagnostic, après l'annonce des éventuels traitements, pour avoir un deuxième avis, parce qu'il était parti un petit peu vite du bureau du docteur Belhadj suite à l'annonce du diagnostic.
Christophe
Et finalement, le deuxième avis médical a confirmé également les différentes possibilités de traitement et ça a permis, je crois, derrière, de retourner voir le docteur Belhadj plus serein, qui, au passage, n'avait pas été spécialement surpris, ni de la première réaction face à la brutalité d'une information comme le diagnostic, ni de la démarche d'un deuxième avis, bien au contraire, je me souviens qu'à l'époque, il m'a dit « Au final, c'est mieux parce que la prise de décision n'en sera que plus éclairée. » Voilà, et je crois que je n'ai pas eu d'autres interventions par la suite avec un rapport médical. Le but étant simplement d'être une écoute, une présence et essayer d'être là dans les moments les plus compliqués.
Alain
Il me fallut un peu de temps après cette deuxième consultation. J'ai repris contact avec Henri Mondor, bien sûr, qui m'a accueilli tout de suite en me précisant, vous savez, le principal, c'est de commencer un traitement, quel que soit votre choix, vu qu'il y avait deux traitements possibles, parce que la maladie gagne et ce n'est pas nous. Nous, on vous amène en définitive des armes pour combattre cette maladie. Mais plus vous attendez, plus la maladie vous gagne.
Christophe
Finalement, c'était des reformulations, c'était la confirmation d'un diagnostic, dire la même chose avec d'autres mots, une meilleure compréhension avec une réflexion entre temps qui faisait que l'assimilation s'est peut- être bien faite, avec, c'est important, beaucoup de bienveillance et d'égard par rapport à son confrère en disant « Tu t'en fous de toute façon, puisqu'il y avait un hôpital parisien et un hôpital à Créteil, mais voilà, le professeur parisien, très rassurant sur les compétences du docteur de Créteil. Quelque part, ça a amené un environnement de sécurisation, alors que le process, ce n'est pas évident de rentrer dans un parcours médical comme celui- ci. Et je crois qu'après ça, le deuxième rendez- vous avec le docteur Belhadj, puis la suite du traitement a été vraiment serein, parce qu'il y a eu le choc initial. Après, la consolidation de l'information et de la prise de décision. Et puis après, process lancé. Et puis finalement, il n'y a pas beaucoup de questions à se poser. Une fois qu'on a appuyé sur le bouton, ça déroule et puis c'est l'hôpital qui maîtrise.
Alain
Et dans ma prise de décision, c'est vrai qu'à ce moment-là, j'avais deux petits-fils, un d'un an et demi et un de quatre ans et demi. Je me suis dit en moi- même « Le papi, peut-être que ses petits-enfants voudraient quand même le connaître un peu plus, plus longtemps, etc. » Ça m'a beaucoup aidé aussi dans la prise de décision. Parce que c'est vrai que j'étais hésitant. Soigner, pas soigner, ce n’était pas évident. Ce n’était pas clair pour moi. Et là, ça m'a quand même, ça m'a fait accélérer le processus et me dire « Maintenant, il faut que je m'engage. Alors, il est vrai que je me suis engagé, c'était fin mai, il s'était quand même passé quatre semaines entre l'annonce et le début du traitement. Mais l'avantage, c'est qu'après, dans le parcours de soins, je n'ai jamais lâché.
Christophe
Et par rapport aux petits enfants, compte tenu de leur âge, moi, puisque c'était les deux miens, j'ai assez vite dit, de toute façon, ils ne sont pas en âge de comprendre. Ce n'est pas un sujet abordé avec eux, ils sont bien trop jeunes. Pour les autres, ma compagne de l'époque a été au courant, mais ce n'était pas trop un sujet de conversation. C'est plus moi qui ai accompagné Alain. Et les enfants, ils ne l'ont pas su. Finalement, ils ont su qu'il se passait quelque chose un peu indirectement à un moment du traitement. Alain a perdu ses cheveux. Et voilà, il y a juste eu une question « Tiens, plus de cheveux. Oui, traitement. » Et puis voilà. Et puis, comme des enfants en bas âge savent le faire, du moment qu'il y a une réponse, ils sont contents et puis ils sont passés à autre chose. Donc, il n'y a pas eu de côté dramatique. Après, moi, j'ai eu des questions, mais plus tard, une fois que le traitement initial était terminé, parce qu’entre temps, ils avaient perdu leur deuxième grand- père. Et j'ai eu des questions sur « Papy, il a été malade ? »
Christophe
Qu'est-ce qui s'est passé ? Est-ce qu'il y avait les mêmes risques pour l'autre grand- père ou pas ? Mais ils étaient à un âge où la discussion était plus facile. Il y avait de la compréhension qui était possible. Je pense que trop jeune, on aurait généré que des angoisses et ce n'était pas spécialement pour cacher, c'est qu'à un moment, moi, j'ai considéré que je leur donnais l'information à un niveau à laquelle ils étaient capables de l'assimiler. À ce moment- là, ils avaient toutes les cartes faire pour profiter de leur papi autant que c'était possible, le week-end, pendant les vacances. Et puis, c'était ça l'essentiel.
Alain
Et il est vrai que lorsqu'il y a eu cette chute et cette perte de cheveux, je dirais, un jour, ils ouvrent la porte et il se retourne en disant « Papi, il a plus de cheveux. » Et là, je réponds parce que l'aîné de mes petits fils commençait l'école de football et je lui fais « Écoute, en football, il y a des gardiens de but, etc, il y a des joueurs qui se rasent la tête et je fais un essai. Pour voir, mais je les laisserai repousser. » Et là, il est parti, je dirais convaincu, tranquille et ce n'est jamais revenu. J'ai eu la chance de retrouver, c'est vrai, ma chevelure, j’ai perdu les cheveux en septembre, j'ai retrouvé les cheveux pour Noël. Donc ça n'a pas été très long. Et de là, après, il y a eu le parcours. Et dans le parcours, au bout d'une année, c'est vrai qu'on maintenait nos sorties, etc, que ça soit des sorties qui accompagnaient du papi ou accompagnaient du papi et de leurs parents. Donc c'était très réconfortant pour le papi. C'est que la forme revenait et puis les choses se passaient, on va dire, normalement comme précédemment.
Alain
Il n'y avait pas de choses particulières par rapport au myélome, si ce n'est que les balades étaient peut- être un petit peu réduites en distance, que je ne pouvais pas porter le plus jeune de mes petits- fils, mais ça, à la limite, ce n'était pas particulièrement gênant, je pense, pour eux.
Christophe
Je pense qu'ils ne s'en sont pas rendus compte. Pour eux, on allait faire comme d'habitude une promenade en forêt après avoir le déjeuner. Le porté, il y avait des « je ne peux pas », mais il y avait aussi des « ce n'est pas prudent ». C'est une chose qui était évitée sans vraiment montrer que ce n'était pas possible. Moi, du coup, je pouvais le faire. Donc oui, pour eux, ça n'a pas été très marquant. Ils ont réussi à profiter de leur papi. Et puis après, il y a eu quand même l'adaptation un petit peu du régime alimentaire, puisque nous, on arrivait à se retrouver régulièrement sur Paris pour aller déjeuner ensemble. L'anecdote à ce sujet, c'est qu’il adore les fruits de mer et notamment les huîtres. C'était interdit au menu pendant le traitement. Donc, en fin de traitement, il y a eu la libération avec un bar à huîtres avenue Wagram pour justement se dire « Ça y est, maintenant, je peux remanger des huîtres. »
Alain
Pour l'anecdote, il est vrai qu'avec le myélome et pour tout porteur- porteuse de myélome, c’est rien de cru, que ce soit les crustacés ou les viandes, rien de cru. Comme c'est une maladie de sang, il fallait absolument éviter. Et pour le deuxième Noël, pas le premier Noël, ça doit être pour 2013 éventuellement, l'hématologue me disait comme ça « Monsieur, je pense que vous aimez les fruits de mer. » J'ai dit « Oui, Docteur. » Il me dit « Éventuellement. » Vous en prenez une ou deux. » Et là, j'avais certainement ce jour- là un petit brin d'humour. Je l'ai regardé, je lui ai dit « Douzaines, docteur ? » Et là, il m'a dit « Monsieur, vous êtes un petit rigolo. » Mais après, nous avons pu reprendre la marche à l'avant et reprendre, si vous voulez, les dégustations ensuite. Et ça, c'était bien agréable. Quant à la maladie et les phénomènes d'hospitalisation, j'ai eu un parcours de vie, on va dire, de la naissance jusqu'au myélome où les maladies importantes, graves, n'ont pas été pas en travers de mon chemin. Donc, ça veut dire que j'ai un parcours de vie quand même un peu sympathique.
Alain
Le myélome arrivant, il y a mon âge, etc, c'est là que oui, j'ai perdu pied très profondément et il m'a fallu plusieurs semaines pour regravir parce que suite à l'annonce, oui, on descend, on descend, on descend, puis à un moment donné, il faut que ça s'arrête. Et pour que ça s'arrête, il faut stabiliser, on va dire, la chute et puis remonter marche après marche. Et là, l'encadrement médical, mais pas forcément de l'hématologue, me disait surtout «Pas trop vite, monsieur. Quand vous avez monté une marche, vous vous arrangez surtout pour ne pas la redescendre. » donc je les ai montées une à une, mais sur le temps. Il a quand même fallu du temps. Et c'est pour ça qu'avec les anecdotes, des balades tout à l'heure, des sorties, etc, mais avec le temps, tout est redevenu quasi normal. Et dans mon parcours, chose particulière quand même, c'est que moi, j'ai fait mon parcours à 95% en hôpital de jour. J'ai été, par rapport à d'autres, si vous me permettez ce terme, de myélomanes, j'ai été hospitalisé cinq jours sur mon parcours, ce qui n'est pas le cas de la majorité des malades du myélome, où il y a de longues phases d'hospitalisation.
Alain
Donc, je reconnais que j'ai eu un parcours quand même favorisé de ce côté-là.
Christophe
C'était quand même le point important puisque dans le choix initial du traitement, je me souviens de la discussion relatée entre un choix de traitement expérimental et un choix de traitement classique. Docteur, il y a combien d'hospitalisations de chaque côté ? Avec le traitement expérimental, il y a une seule hospitalisation. « D'accord docteur, je pars pour celui- ci. Avant même de savoir ce qu'il y avait finalement dans le traitement, le critère le plus important, c'était le nombre de nuitées à l'hôtellerie de l’APHP.
Alain
C'est vrai que là, on parle d'hôtellerie, mais pour même franchir ce pas des cinq jours, je suis passé quand même par quelques séances de psychologue pour justement essayer d'aplanir cette... Pas cette peur, mais cette hantise de l'hôpital.
Christophe
Et de mon côté, c'est les seules fois, finalement, où j'ai été l’accompagné à l'hôpital. Parce que l'entrée à l'hôpital était vraiment difficile. Même s'il y avait la possibilité d'avoir un VSL, un taxi, n'importe quoi, je sentais que... Moi, je n'étais même pas sûr qu'il allait se présenter à l'hôpital. Du coup, j'avais été le récupérer, le mettre dans la voiture jusqu'à la chambre. Ça a été l'occasion, finalement, du seul échange que j'ai eu avec un médecin qui a été assez rassurant sur le côté maîtrise du sujet de ce qui allait se passer pendant ces cinq jours. Pour le coup, il avait un petit peu le temps en fin de journée parce que ce n’était qu'une admission, il ne se passait rien avant le lendemain matin, on avait discuté un petit peu. Passage difficile, mais finalement, qui méritait un petit peu d'accompagnement et qui s'est bien passé.
Alain
Voilà le pourquoi aussi, si vous voulez, de ma fuite à un moment donné. Quand j'ai quitté le bureau du médecin, avant le traitement, je dis bien avant le traitement, j'ai quitté, je suis parti, mais sans rien dire, etc, même pas saluer le médecin. Sans quoi, bien sûr qu'ils avaient toutes mes coordonnées, il y a eu plusieurs tentatives pour me faire comprendre qu'il fallait revenir et vite. Je ne répondais pas aux appels. Comme moi aussi, j'avais enregistré les numéros et du médecin et de l'hôpital, je ne répondais pas. Voilà ce qui a fait qu'il y a eu cette deuxième consultation qui m'avait ouvert beaucoup les portes et qui m'ont aidé, comme tout à l'heure, dans la prise de décision.
Alain
Mais le programme n'a pas été interrompu une seule fois. Pendant deux ans et demi, chaque rendez- vous a été honoré à chaque fois et sans problème, je dirais, particulier. Si ce n'est qu'à un moment donné, je ne pouvais plus me déplacer par mes propres moyens par rapport à certains inconvénients liés à la maladie et j'avais un VSL. Un VSL pour le matin et un VSL pour le soir au retour.
Alain
Et lié au myélome, moi, ça a accéléré mon processus aussi de la vie professionnelle. C'est vrai que le myélome, bon, j'atteignais l'âge de 62 ans. De ce côté, ayant commencé jeune à travailler, j'avais toutes mes annuités, etc. Je tombais au niveau de l'entreprise avec un changement de gérant, etc. Et là, en définitive, ça a été accéléré, le processus du départ à la retraite. Donc, 2013, je faisais valoir mes droits à la retraite et par rapport à l'entreprise et la maladie, après, je me suis déclaré en auto entrepreneur et, en définitive, j'ai pu travailler bon en mal en sur la base d'un petit mi- temps, encore pendant, on va dire, deux bonnes années.
Alain
Cette atteinte par le cancer et tout, c'est vrai que, je ne sais pas, il ne faut peut- être pas parler du statut de papa, il faut parler de rôle. Le rôle changeait un peu. Il y avait quand même une grosse diminution. Et bon, aujourd'hui, c'est vrai que c'est compensé aujourd'hui totalement, peut- être pas, mais c'est vrai que c'est différent. On devient un papa, un papi, opérationnel, mais quand même peut- être un petit peu moins qu'avant l'arrivée du myélome. Ça, c'est très difficile aussi.
Christophe
Dans la courbe de vie, il y a jusqu'à 18-20 ans, le papa qui est dans l'assistance du fils et puis après, chacun à son autonomie, il y a une relation. Et puis après, je pense qu'il l'a vécu comme « Finalement, c'est moi qui dois être assisté par mon fils. La courbe, elle est moins ascendante, on va dire. Et ça, psychologiquement, il fallait l'accepter. Ce n'était pas évident au départ.
Alain
Aujourd'hui, il y a toujours cette appréhension. L'appréhension de dire « Je fais, vais-je pouvoir faire ? Vais-je pouvoir continuer à faire ? », même si le rôle a perdu de sa puissance dans le de temps. Parce que là, on sait qu'il y a une faiblesse et que ladite faiblesse peut conduire à une rechute, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, je le dis bien. Donc, c'est particulier. Aujourd'hui, nous avons beaucoup de temps forts, voire très forts. Ça, c'est très agréable. Ça aide, ça booste un petit peu, etc. Et aujourd'hui, même par la présence des petits fils, etc, c'est vrai que ça tire le papi vers un certain entrain.
Christophe
La faiblesse, elle est relative parce qu'aujourd'hui, il est capable de s'occuper tout seul de ses deux petits enfants. Des états de faiblesse comme ça, je pense que beaucoup aimeraient l'avoir. C'est des points d'interrogation, c'est éventuellement un manque de confiance, se demander si ce sera possible, mais dans les faits au côté quotidien, c'est un état de forme qui va aussi en face d'un certain âge, puisque il n’a plus 40 ans. Je pense qu'il y a des gens qui n'ont pas été atteints du myélome, qui sont dans un état de forme comparable, voire inférieur.
Alain
Mais n'empêche que même aujourd'hui, il y a des jours, je dirais, des nuits perturbées et perturbantes en disant « et demain ? » Ça reste. Le myélome est présent en définitif dans l'esprit, sachant que depuis 2014, je n'ai pas un médicament pour le myélome. C'est quand même très important. Je suis en rémission, je ne suis pas guéri, je suis en rémission et de temps en temps, on m'informe qu'il peut y avoir rechute. Faisant partie d'une association de malades du myélome, je sais qu'il y a des rechutes nombreuses, mais les rechutes peuvent être au bout d'un an, au bout de trois ans, en fin de traitement, cinq ans, dix ans. C'est quand même important de le savoir. Ce sont des perspectives et on va de l'avant. Mais cette épée de Damoclès, elle est là et on ne pourra jamais la supprimer. On peut l'atténuer, mais pas la supprimer totalement.
Dans ce deuxième épisode, Alain et Karine reviennent sur le bouleversement que l’annonce du myélome a engendré au sein d’une petite entreprise. Comment informer l’équipe et les clients ? Comment Karine a géré la confidence d’Alain ?
Alain
Bonjour Alain. Professionnellement parlant, agissant dans un cabinet d'expertise comptable qui était un bureau secondaire sur Paris et avant dans le monde social médico-social. J'étais responsable de ce cabinet secondaire. Le cabinet principal étant dans les environs de Nice. J'ai rencontré Karine dans mon cursus professionnel. Je l'ai accueilli dans les années 90 pour un entretien éventuellement d'embauche, s'est confirmé et au fil du temps, nous avons appris à nous connaître professionnellement parlant jusqu'à l'arrivée du myélome en 2012.
Karine
Bonjour, moi, je suis Karine et effectivement, j'ai rencontré Alain lors d'un rendez- vous que j'avais à Paris, puisque à l'époque, j'étais dans les Alpes-Maritimes. Et donc, la personne qui reprenait ce cabinet sur Paris m'a proposé un poste et donc il fallait que je monte à Paris, comme on disait à l'époque, pour un rendez- vous. Et donc, j'ai rencontré Alain à cet entretien, donc d'embauche. Et puis, l'embauche s'est faite. C'était en septembre 94, 1994 exactement. Moi, je suis toujours dans ce cabinet. Bien sûr, ce n'est plus le même gérant. On a en a été rachetés par un groupe, mais jusqu'à ce qu'Alain quitte le cabinet pour le départ en retraite.
Alain
Ce qui a été quand même très difficile pour moi, c'est que forcément, dans ce cabinet, nous étions sept collaborateurs- collaboratrices, dont moi- même. Nous étions quand même proches les uns des autres dans nos différentes missions et il a fallu que je trouve les mots qui n'étaient pas faciles du tout pour annoncer que j'étais pris par une maladie, le myélome, avec quelques difficultés qu'il allait falloir que je me mette un peu en retrait, professionnellement parlant. Ça n'a pas été facile et la première personne vers qui je suis allée, c'est Karine, qui est l'attachée de direction du cabinet. Je me suis exprimée comme j'ai pu, elle a entendu ce qu'elle a voulu, ce qu'elle a pu, etc. Parce qu'après, il fallait réagir vis - à- vis des collaborateurs et il fallait réagir par rapport aussi aux dossiers comptables de nos clients.
Karine
L'effet d'annonce, justement. L'annonce, je me souviendrai, ça, c'est quelque chose qu'on ne peut pas oublier dans le parcours professionnel. C'est vrai que je te vois arriver... Ce que tu faisais traditionnellement, c'est que chaque fois que tu arrivais, tu passais par mon bureau, on se disait bonjour, on se racontait. Effectivement, on était plusieurs à avoir senti quand même une fatigue chez toi quelques mois auparavant. Fatigue, ça peut se comprendre. Il y avait beaucoup de déplacements, c'était quand même assez intense les périodes fiscales, les bilans. Vous aviez des déplacements, il n'y avait pas que l'Île- de- France, il y avait aussi la province. Ça s'entendait, mais là, il y avait autre chose. Quand tu es arrivé et que tu m'as annoncé ça, je me souviens, debout près de la fenêtre et moi, j'étais assise à mon bureau comme je l'ai fait tout le temps. Et là, je me suis dit « Mais qu'est- ce que c'est que ça ? Qu'est-ce qu'il m'annonce là ? Qu'est-ce qu'il me dit ? » J'ai été complètement abasourdie de toute façon. Puis, qu'est-ce que c'est que cette maladie ? Ça a été très difficile pour toi aussi de trouver les mots parce que c'était quand même assez compliqué.
Alain
Je n'avais pas forcément les mots pour exprimer ce qui était le myélome, à part que c'était un cancer, que c'était la moelle osseuse. Mais au-delà de ça, ça me dépassait beaucoup.
Karine
Et je me souviens que quand tu es arrivé, tu n'étais pas comme d'habitude, une, mais moi, j'étais dans mon truc et j'ai commencé à te dire « Bon, ça va Alain, oui, oui, ça va. » Je ne sais plus, mais je sais que ça a été très brouillon. Et puis j'ai dit « Au fait, hier, il y a eu un mail et tu m'as dit... » J'ai quelque chose à te dire ?... Oui, tout de suite. Tu as été... Oui, parce que c'était professionnel. Forcément, moi, je m'attendais pas à ça. Donc je me suis dit « Tiens, il y a un message pour toi. Il va fal loir que tu rappelles assez rapidement ce client ce matin. » Et là, il m'a dit « Non, ce matin, ça va pas pouvoir se faire. J'ai quelque chose à annoncer. Et puis là, j'ai vu qu'il était très grave. Alors là, j'ai laissé tomber mes affaires et je l’ai regardé. Je suis restée assise. Je suis venue à côté de toi vraiment à la fin, quand tu m'as dit que de toute façon, tu ne pouvais pas aller voir les collègues. Je me suis restée assise parce que j'ai écouté ce que tu disais.
Karine
Tu m'as dit Je pense que c'est il y avait un trop plein. Et tu m'as dit « Mais à quoi bon ? À quoi bon se battre ? »
Karine
Et ça, je ne pouvais pas l'entendre. Si je dis « Si Alain, tu vas te battre. Tu sais pour qui tu vas te battre ?
» « Pour tes petits enfants. » Et ça, je m'en souviendrai toute ma vie. Et là, je pense que... Il y a eu quelque chose. Il y a eu quelque chose. C'est pas possible. Tu peux pas dire un truc pareil. Je peux pas te laisser dire ça. Et puis après, bon, on est tous allés... Ça, ça a été vraiment, je pense que c'est la phrase qui a fait qu'en tout cas pour moi, parce que moi, tu m'as dit ça, j'ai pas réfléchi. J'ai dit si, tu vas te battre. Si ce n’est pas pour tes collègues. Mais bon, voilà, tes petits enfants, c'est très important.
Karine
J'ai dit « Écoute, tu restes là et moi je vais y aller. » Donc j'ai traversé, c'était pas très long. Et dans le bureau que tu occupais, il y avait un seul collègue. Donc je lui ai fait signe de venir de l'autre côté où il y avait trois collègues. Nous étions cinq. Et là, ils ont vu, ils ont regardé, ils ont vu que tu étais là- bas. Et moi, dans cette pièce, je leur ai dit « Alain vient d'arriver, il m'a annoncé un truc, mais je suis complètement abasourdie de ce que je viens d'apprendre. Il a une maladie, ça s'appelle le myélome, c'est un cancer. Le cancer de la moelle épinière, la moelle osseuse.
Karine
Voilà, c'est ça. Et ça a été difficile parce qu'en fait, je ne savais pas forcément... J'ai répété les mots qu'Alain m'avait dit. Et puis j'ai vu l'incompréhension. J'ai vu les sourcils se froncer. « Mais qu'est - ce que tu nous racontes ? Il est où Alain ? »« Il est là, il vient d'arriver, mais il a beaucoup de beaucoup de mal. C'est très difficile. On avait une tradition, c'était d'aller prendre tous ensemble un café le matin, une fois que tout le monde était arrivé. Et là, c'est vrai que... C'est ça aussi qui est en fonction de certains collègues. Certains, tout de suite, sont levés et sont venus vers toi, je pense. D'autres se sont dit « Mais c'est une blague ? Qu'est-ce qui me tombe dessus ? Qu'est-ce que c'est ça ? » Et il me semble que tout le monde n'est pas forcément venu dans la pièce parce que « Wow ! Qu'est-ce que je vais lui dire ?
Quels sont les mots qu'il faut dire à un collègue qui nous apprend ça ? Moi, il était venu vers moi, je n'avais pas forcément trouvé les mots.
Karine
Oui, je ne sais plus ce que j'ai dit. Parce que je n'avais pas peut- être pas tout enregistré ce que tu m'as dit à ce moment- là et j'étais moi- même complètement... Désappointée ? Oui, désappointée. Et puis alors, je sais qu'il y en a un qui m'a dit « Mais c'est quoi ça ? C'est un cancer ». « Mais bon, mais il en est à quel stade ? Il est où ? Il est où ? Il est là, il est dans mon bureau, mais il a beaucoup de mal. Il est vraiment pas bien. Donc il a fait l'effort de venir ce matin, mais je pense qu'il ne restera pas longtemps ». Et puis c'est là petit à petit, on est resté pas longtemps ensemble dans ce bureau. On voulait pas te laisser non plus, mais j'avais rien d'autre à leur dire en quelque sorte. Je venais d'apprendre ça, donc du coup, on est retourné là- bas. Et moi, je suis passée devant le bureau et j'ai dit « Allez, on fait un café,
Alain
Ce n'était pas dans mes habitudes, même si ça faisait quelques mois que la méforme m’accompagnée. Avec la fatigue, avec un rhume qui n’en finissait pas. Je me traînais plus qu'auparavant. Ce n'était pas lié à la surcharge professionnelle. Parce qu'en ces périodes, en cabinet comptable, il y a toujours la surcharge professionnelle.
Karine
Là, il y avait autre chose..
Alain
Et ça a craqué ce jour- là, par rapport à la relation professionnelle. Ça a craqué parce qu'il fallait que je m'exprime dans un domaine personnel qui me concernait, qui allait perturber beaucoup le chemin de vie, comme on dit.
Karine
Toi qui demandais toujours aux autres. Tu demandais toujours à tout le monde. Tu me disais à l'époque, on se voyait, comment allez- vous ? Est-ce que tout le monde va bien ? Toujours demander des nouvelles des autres avant de parler de lui. Et ce jour- là, il a fallu que tu fasses les choses un peu différemment.
Alain
Je devenais la pièce centrale.
Karine
Oui, c'est ça.
Alain
Obligé de parler de moi en plus.
Karine
Oui, parce que ce n'est pas quelque chose que tu faisais facilement. Et là, en plus, quand c'est quelque chose de cette ampleur- là, aussi grave que ça, c'était quand même quelque chose de... Je ne pensais pas pouvoir presque revivre ce moment- là.
Karine
Et après, au fur et à mesure, je sais plus après, dans cette pièce, je sais qu'il y avait un silence. C'était étrange parce que pesant, parce qu' on venait d'apprendre quelque chose et là, je pense qu'il y a certains qui t'ont posé des questions et toi, tu pouvais pas. De toute façon, tu as dit « Je peux pas rester, il va falloir que... Mais où tu vas ? Est-ce que tu veux qu'on vienne ? » Et je sais qu'il y en a un ou deux qui t'ont dit « On peut t'accompagner, tu vas pas rester tout seul. » Voilà, c'était très pesant de toute façon parce que bon, tu es quand même parti tout seul.
Alain
Oui, parce que je ne maîtrisais pas en plus.
Karine
Tu pouvais pas travailler. Tu étais venu vraiment pour... Je pense pas que tu n’avais pas prévu de rester avec nous toute la journée de toute façon, parce que c'était pas possible.
Alain
Je n'aurais pas pu. C'est clair, j'aurais pas pu.
Karine
Nous, on n'a pas pu derrière aussi après, je peux te dire. On a passé un peu de temps, justement, pour mettre en forme ce mail, pour dire « Comment je vais annoncer aux clients après. C'était pas facile, mais bon, je me suis dit que tu étais venu me voir en premier, donc il fallait pas que je flanche.
Alain
Je dirais que définitive, ça n'a pas été un choix d'aller vers Karine en premier. Je pense que c'est là encore, c'était le naturel. Un petit peu comme on a annoncé tout à l'heure en disant le matin, on arrive, on fait un petit point, le « bonjour » et puis tout de suite, les points forts, les points faibles du cabinet, les avancées, les reproches, les satisfactions des clients, etc. Je dirais que naturellement, il y avait un tel degré de confiance que naturellement, je me suis porté vers elle. Que les collègues, c'est différent. Que ce soit Collegium, que l'EMFA, le rapport professionnel était différent. Parce que là, le lien qu'on avait, c'était Karine étant là, on va dire, vraiment l'appui total au niveau du cabinet étant là au quotidien et étant là en faisant le lien aussi bien avec moi qu'avec le gérant de la société qui était, on va dire, sur le Sud-Est de la France. Donc, le degré était tel que naturellement, je me suis porté vers... Et pour moi, inconsciemment, j'étais convaincu que les propos qu'elle pourrait transmettre, elle n'aurait pas trahi, si vous voulez, ce que j'avais dit. C'est peut- être ça aussi, c'est important.
Karine
Mais ça a été très... C'était une drôle de journée de toute façon parce que... Enfin, une drôle, c'est peut - être pas le mot qu'il faut, mais c'était une journée particulière parce qu'une fois que tu es parti, on s'est dit
« Mais qu'est- ce qui va se passer maintenant ? » Je parle pas au niveau du travail. Ce n'était pas ça, c'était vraiment pour toi, en fait. La maladie. Comment ça va évoluer ? Parce que finalement, on n'en savait pas plus que ça parce que tu n'en as pas parlé devant tout le monde après. C'était tellement difficile pour toi. Il n'y a pas eu tant de questions que ça. Au départ, en tout cas, on était tellement...
Alain
Et moi- même, je ne connaissais pas les perspectives d'avenir. C'est ça. Je n'avais pas arrêté de dire que le choix du traitement était ?, etc. On savait qu'il fallait quand même traiter. Si j'acceptais le traitement, il fallait traiter. Mais je n'avais pas à choisir rien du tout. Moi, c'était l'information qui, malheureusement, le statut d'opérationnel, il devenait un statut de non opérationnel ou alors à faible pourcentage, mais impossible autrement. Donc c'est vrai que ça a été bref. À ce moment-là, avec des mots qui manquaient, des mots qui n'étaient pas forcément appropriés. Après, j'avais qu'une hâte, c'était de partir et d'aller me réfugier, comme un animal traqué.
Karine
Dans sa tanière.
Alain
Est-ce que ça a été assez bien ? Est-ce que ça a été assez mal ?
Karine
C’est ce dont tu avais besoin ce jour-là, au départ, de toute façon, tu pouvais pas même communiquer, causer et tout.
Karine
Il est parti du bureau, c'était trop dur, parce que c'était trop difficile, c'était hors de question. On a quand même mis en place un petit système de messagerie ou de messages. Moi, comme je suis assistante du cabinet, je recevais les appels. Beaucoup de téléphones à l'époque, moins maintenant, mais beaucoup de coups de fil. On a fait un mail général.
Alain
Il a fallu bâtir un mail tous les deux pour que j'annonce que je me mettais en retrait quand même, on va dire, des dossiers.
Karine
Je ne me suis pas étalé. Mais là, les coups de fil derrière, je savais qu'il y en a certains qui ont appelé. Mais qu'est- ce qui se passe ? Ça a été un peu compliqué aussi parce qu'il fallait garder sans trémolo, dans la voix. Pas toujours facile. Et puis après, le défilé des collègues dans le bureau.
Qu'est-ce que c'est que ça ? Alors bon, on n'avait peut- être pas tous les...
Alain
Vous aviez pas tous les tenants parce que même moi, je ne maîtrisais pas tout.
Karine
Et puis bon, on n'entend pas parler de cette maladie, ou du moins, en fait, moi, je n'en avais pas entendu parler parce que chez les hommes, il y a divers cancers qui sont plus communs, on va dire. Mais là, le myélome, voilà. Donc j'ai écouté, je t'ai écouté.
Karine
Et puis, à quel stade tu en étais ? Tout ça, la maladie, elle en était où ? Est- ce que c'était le début ? Ça avait été pris à temps ou est-ce que déjà elle avait un peu progressé ? On ne savait pas trop. Est-ce que toi, tu le savais à ce moment- là ? On te l'avait annoncé, mais est-ce que tu avais fait tous les examens ?
Karine
Mais tu sais, pour en savoir sur cette maladie, qu'est-ce que c'est ? Comment faire pour regarder ? On n'avait peut- être pas autant de...
Alain
Il y avait peut-être moins d'informations qu'il y en aurait aujourd'hui.
Karine
Oui, on n'avait peut- être pas forcément tous des téléphones.
Alain
Moi, je n'avais pas d'informations, même si j'en avais reçu. Elles sont rentrées par une oreille et elles sont sorties par l'autre. Je n'étais pas prêt, comme on dit, à les entendre. C'est le choc.
Karine
C'est brutal.
Alain
Oui, c'est brutal. On s'est aperçus que du jour au lendemain, on est diminué, on est plus ce qu'on était. On s'est dit « Comment ils vont me percevoir ?
Karine
Les uns les autres. Tu parles des collègues ? oui, des collègues et des clients aussi
Karine
Des collègues surtout.
Alain
C'est surtout les collègues. Les clients, c'est autre chose. Il y a quand même une distance, c'est professionnel. Les collègues, il y avait quand même d'autres approches. C'est sûr. C'est évident. Mais même si avec tous les collègues, on n'a pas les mêmes approches, mais il y avait des approches.
Karine
Moi, je pense que c'est parce que certains ont eu peur de ça. Ce n'est pas que moi, je n'en avais pas peur, mais je me suis dit « Il est venu vers moi. Je ne peux pas lui dire je ne sais pas. Il faut aller de l'avant. Tu vas te battre, c'est évident. Quel que soit le degré où tu en es, tu vas te battre. Tu as les capacités pour ça, tu vas le faire. Mais oui, pour moi et en même temps, je préfère avoir ce discours - là que baisser les bras et se dire « Mais bon...
Alain
Dans ses situations, on est meilleur pour les.
Karine
Autres que pour soi- même.
Alain
Oui, je suis d'accord. Ça passe, il y a les mots, etc, il y a l'environnement, etc. Pour soi-même, on entend qu'il se dit des choses, etc. On sait, mais ça ne tilte pas forcément. Il faut que ça monte, que ça se digère. Puis après, on dit « Oui, mais sur le coup, c'est très difficile. Très, très, très difficile. » Donc là, il y a une épreuve quand même délicate.
Karine
Oui, je suis d'accord. Et puis, le fait de te voir partir, de se dire « Il rentre chez lui.» qu'est-ce qu'il va faire
? Qu'est-ce qu'il va faire ? Il est tout seul. C'est ça aussi qu'on se disait « Waouh ! Qu'est -ce que tu fais demain ? Est-ce que tu vas revenir ? Tu disais que tu avais besoin de prendre un peu de distance, mais après, c'est vrai qu'on était tu m'appelais, tu me tenais au courant.
Alain
L'environnement faisant, sans mettre la pression, me disait « Ça serait bien quand tu rentres à la maison, fais-nous un petit coucou. »des trucs comme ça, simplement un petit coucou. Tu nous dis que tu es arrivé. Au début, c'était dur. Puis après, je pouvais dire, mais ce n'était pas la pression, on est bien d'accord, c'était vraiment très amical. De dire il est où, il fait quoi ? Comment ça se passe ?
Karine
Parce que c'est vrai que quand tu es parti, on est resté, nous, presque bouche bée. D'abord, on n'a pas beaucoup travaillé, je pense, cet après- midi- là, autant le dire. Mais c'est vrai qu'on s'est tous mis autour de la table en disant « Effectivement, oui, on a vu, il était un peu fatigué. C'est ce que je disais au départ. Mais de là à prendre cette maladie, non, on ne s'attendait pas du tout, mais pas du tout à ça. Et qu'est- ce qu'on fait ? Il faut le soutenir, c'est évident. Il faut l'accompagner du mieux qu'on peut, que ce soit au niveau de la clientèle, les rendez- vous, mais ça, après, ça se faisait parce qu'il y avait des binômes. Ça, je pense que ça s'est fait très facilement. Tu n'es pas retourné chez les clients tout de suite, je pense ?
Alain
Non, parce que les collègues ont été très volontaires et se sont portés tout de suite volontaires. Sans se poser de questions.
Alain
Oui, c'est vrai. Ne t'inquiète pas, on fait. C'était chouette quelque part.
Karine
Oui. Tu avais besoin de ça de toute façon.
Alain
J’aurais été incapable complètement.
Karine
Déjà, venir au bureau, ce ne devait pas être simple, je pense.
Alain
C'était difficile, mais on y arrivait.
Karine
Oui, parce qu'une fois que l'effet d'annonce passé, on savait que tu venais, peut- être que tu en parlerais plus facilement.
Karine
Tu donnais des nouvelles, même le lendemain, on a échangé. C'était important quand même de savoir. On pouvait pas poser la question « Comment tu vas ? », c'est le genre de questions qu'il faut éviter.
Karine
Enfin, je veux dire, au contraire, il faut le soutenir, il a besoin de ça. Donc sans trop savoir ce que c'était non plus. Parce qu'après, il faut choisir ses mots. Il ne faut pas dire « T'inquiète pas, ça va aller. » Il ne faut pas dire ce genre de choses. « Tu vas te battre, ça c'est sûr. » Ça va aller, on le souhaite, on espère, on croise les doigts, mais dans un premier temps, il faut accepter de se soigner. Ça fait peur, certes. Ça fait très peur. Moi aussi, j'ai peur. Mais il faut le faire.
Alain
C'est vrai qu'au début, ce n'était pas des longues communications. C'était vraiment des échanges courts. Je pouvais pas entretenir. Je n'arrivais pas à... Ça me demandait des grands blancs, ça me demandait des efforts colossaux. Mais je donnais quand même.
Alain
L'effet d'annonce passé, et après je rentrais dans un traitement. Une fois que j'avais arrêté, pris la décision. Donc, qui dit traitement dit déjà, il se soigne. Il y va. Après, un traitement n'est jamais garanti. Mais bon, quand on voit aujourd'hui, voilà, 12 ans après, c'est quand même bien. -oui. -nous sommes bien d'accord. Mais au départ, c'est vrai qu'un peu en stand-by, les collègues allant de l'avant et petit à petit, je suis revenu. Il y en a qui me disaient « Tiens, demain, ça serait bien qu'on ail le chez tel client, tel dossier. » Et les collègues, d'un coup de voiture, ils passaient me prendre. Mais comme ça, parce qu'on allait tous les deux. Nous étions en binôme, sans dire « T'es malade, on vient de chercher. » Non. C'était plus en disant « Écoute, c'est un gros dossier. Allez, on y va tous les deux, on passe te prendre. Et puis je te redéposerai ». Alors c'est vrai que la journée était quand même... Je pouvais pas faire des journées complètes. Donc on raccourcissait quand même la journée. Mais c'était chouette.
Karine
Mais les clients étaient compréhensifs je pense aussi.
Alain
Oui, il y avait parce qu'on avait quand même des clients compréhensifs, très compréhensifs.
Karine
Très compréhensifs. Ça, c'était.
Alain
Très important. Pas partout, mais une majorité. Mais ce qui a été très agréable pour moi, c'est de savoir qu'il y avait une solidarité à toute épreuve. Ce qui n'est pas forcément donné que ce soit un cabinet comptable ou... C'est vrai que nous étions peu nombreux.
Karine
Nous étions sept. Oui, on n'était pas nombreux.
Alain
Ça fait longtemps. Mais enfin, ça veut dire que c'était sept qui étaient quand même bien occupés en dossier. Ça veut dire que s'il y en a un qui se retire même partiellement, il faut que ceux qui sont bien occupées acceptent d'en prendre encore un peu plus. Et à ce moment- là, il faut vous dire que le télétravail, ça n'existait pas. Il fallait aller soit au siège, qui était sur Paris, à Montparnasse, ou soit chez les clients. Donc c'était des plus, on va dire, de semaine en semaine.
Karine
Mais je me souviens, tu disais quelque chose, tu disais « Ouh là là, c'est vrai qu'on a tellement de dossiers, on est peu de collaborateurs. » Souvent, tu disais, tu vas te souvenir, mais tu disais souvent « S'il y en a un d'entre nous qui tousse... » Ça, c'était ton expression. « S'il y en a un d'entre nous qui tousse, il va falloir que les autres se répartissent les dossiers. Ça risque d'être une grosse... » Tu te souviens, tu le disais, ça met bien avant. Ce n'était pas forcément cette année-là.
Karine
C'était dans les perspectives de fonctionnement du cabinet. Exactement. Mais ce qu'il y a de bien ce qui était bien, c'est que justement, tout le monde connaissait un petit peu les dossiers. Ça, c'est un atout quand même, je pense. Parce que parfois, un portefeuille, c'est les clients du collaborateur, on ne connaît pas. Mais là, le mail était général. C'était un mail qu'on avait au niveau du cabinet. Tout le monde recevait le mail. De façon à ce que « Tiens, j'ai vu que sur ce dossier, toi, tu avais ci, tu avais ça. Moi, j'ai eu le cas. » Vraiment, il y avait une entraide et ça, je pense que ça a été pour moi, je pense.
Alain
Que c'était un gros atout. Très fort et positif.
Karine
Très, très fort.
Alain
Et quelque part, aussi réconfortant pour moi, je suis d'accord, j'étais diminué, j'étais beaucoup moins opérationnel, mais seulement au niveau du cabinet, tout avançait, tout était... Personne ne se posait de questions. Je parle professionnellement parlant.
Karine
Et quand tu as commencé ton traitement, ça allait mieux après. Je pense que tu as été mis en confiance par l'équipe de l'hôpital et tu as réussi à en parler après mieux. C'est ce qui est normal, je pense.
Alain
Parce que je devenais acteur de quelque chose. C'est ça. Il y avait le combat à mener, donc j'avais décidé que j'allais le mener. Je rentrais dans le traitement, donc c'est différent. Là, il y avait un choix personnel et la décision était prise. Et normalement, avec ce traitement, j'irais à moyen terme, voire à long terme, vers une amélioration. Ce qu'on peut constater aujourd'hui qu'il y a eu.
Karine
Oui, bien sûr.
Alain
Mais sans se poser de questions. En disant « Il nous prend la tête, il est malade, il se soigne et puis on verra bien. » Non, non, pas du tout. Ça a été de dire « Tu te soignes et puis les dossiers, on avance. » Donc ça, c'est très réconfortant de savoir qu'il n'y avait pas de lâcher prise de la part des collègues.
C'était encourageant, parce qu'à la limite, je pouvais mener le combat de la maladie tout en sachant que le versant professionnel, il avançait et que les contacts étaient fréquents, même quand je reprenais à temps très partiels. Avec, comment je peux dire ? Oui, il y avait de l'empathie, mais il n'y avait pas de recommandations particulières. Il n'y avait pas de surcharge de prise en charge. C'était « Comment on y va à deux ? » « Écoute, je prends ma voiture, on y va. » Donc c'était quand même un environnement, je dirais, quelque part protégé, protégeant, mais sans appuyer. Moi, je ne le recevais pas comme ça à la limite. Oui, on est à deux et quand on partait en province, tantôt l'un conduisait, tantôt l'autre. Donc petit à petit, la marche en avant repartait.
Alain
Au fil de la vie, au bout, je dirais, au moins une bonne année, oui, le traitement, etc. Parce que je repensais quand même, parce que je travaillais quand même à temps très partiel à la compagnie, et un des collaborateurs m'a pris en part et puis il m'a fait « Écoute, il y a un an, un an et demi, je pensais jamais te revoir. » Il était content. Et moi aussi.
Karine
Ce n'est pas le genre de choses qu'on peut dire facilement non plus. Il te l'a dit, mais c'est vrai que ce n'est pas évident à dire ce genre de choses non plus. « Tiens, il y a un an, on pensait plus te voir. » Moi, je me suis jamais dit ça. Moi, je me suis dit. Il va se battre.
Alain
Ouais, mais ce collaborateur, le problème, c'était que lui, il avait été consulté Internet et quand on prenait Internet, la durée de vie du myélome, après le traitement, etc. Ou avec traitement. Après, avec traitement, ça pouvait s'interrompre très vite.
Karine
C'était un petit peu le bureau des... Pas des doléances, pas des pleurs non plus, mais quand tu n'étais pas là le matin, parfois, ils arrivaient, les collègues, et puis « J'ai regardé sur Internet, mais tu sais que ça
? » « Non, mais arrêtez avec ça parce qu'on va se rendre malade, nous aussi. Donc, Alain n'a pas besoin
de nous comme ça autour de lui. Donc, il ne faut pas arrêter de regarder tout ça, parce qu'il y a du bon et il y a du moins bon là- dedans. Après, il fallait qu'on soit concentré sur toi. C'est surtout comment tu étais, comment tu réagissais après au traitement.
Alain
Et c'est vrai que lors du traitement, on va dire intensif et tout, les informations d'après disaient que les collègues arrivaient le matin, etc, « Est-ce qu'il y a des nouvelles d'Alain ? » Des fois, je n'en donnais pas ou je pouvais pas en donner. Et donc, il y avait toujours le mot « Il est où ? Qu'est-ce qu'il fait ? » C'était.
Karine
Une belle... Ça a été une très belle solidarité, vraiment, au niveau du cabinet. Chacun à sa manière aussi, parce qu'on est tous différents. Il y en a pour lesquels les mots ne viennent pas. C'était très compliqué, parce que je pense que c'était la peur. Mais ça veut pas dire qu'ils n'étaient pas inquiets ou quoi que ce soit. Pas du tout.
Alain
Vous savez que c'est avec les petits ruisseaux qu'on fait les grandes rivières. Donc oui, ils m'ont aidé dans mon parcours. C'est même quand ils m'accompagnaient pour aller sur un dossier, on va dire, avec des journées raccourcies, je n'étais pas d'un rendement défiant, toute concurrence. Le turbo n'était pas mis. Ils ne disaient rien et tout et ils compensaient largement. Mais c'est toujours fait dans la discrétion. En disant « Tu pourrais accélérer, tu pourrais faire... » Jamais, jamais. Il n'y a jamais eu un mot, il n'y a jamais mis en travers. On fait, nous sommes là « Tu fais ça, moi je fais ça. » J'ai l'impression que ça s'est fait en intelligence et de.
Karine
Façon Hyper naturelle.
Alain
Toutes naturelles, c'est ça. Mais que ce que nous avons dit tout à l'heure. Pour les uns et les autres, c'était naturel. On était une petite équipe, donc l'entraide existait. Mais je disais, à la limite, elle existait avant la maladie.
Alain
Ça, dans le cadre professionnel. La solidarité existait auparavant. Lorsqu'il y avait un dossier brûlant, très chaud, important, à la limite, le collègue concerné n'avait pas besoin de demander. Les autres percevaient et on disait « Si tu as besoin d'un coup de main, ce week-end, on est là ». Quand, par exemple, nous étions en période de déclaration, etc, à la limite, tout responsable que j'étais, je n'avais pas besoin de demander aux membres de l'équipe d'être là. Moi, j'arrivais le samedi, on y avait un deuxième qui arrivait, un troisième... C'est vrai qu'on n'arrivait pas tous à 7h00 du matin. Les arrivées s'étalaient de 7h00 du matin jusqu'à 11h00 du matin. Les premiers qui arrivaient, partaient, etc, on n'avait pas le droit de se dire « On part. » L'autre disait « J'arrive », non. Ça se faisait. On revient aux termes de naturel. On se répète, mais ça se faisait naturellement. C'était une équipe. Avec ses points très forts et ses points moins forts. Certains avec des caractères prononcés, d'autres avec des caractères moins prononcés. La solidarité s'est retrouvée après dans votre maladie ? S'est retrouvée ? C'est pour ça que si vous voulez, au niveau de la solidarité, je n'avais pas besoin de demander, c'était perçu directement.
Alain
Je pense. Il n'y avait pas à supplier. C'était normal. Il n'y avait pas à attendre en disant « Désolé, mais j'attendais ça de toi ou ça de vous. » Non. Non, non. Alors peut- être parce qu'il y avait eu, comment je pourrais dire, ? auparavant, avant la maladie. Même tout en étant responsable, on voit bien en définitif comment on avance sur les dossiers, qui va percuter, qui va être à la traîne, etc. C'est vrai que nous sommes tous différents. C'est vrai qu'il y a des degrés de performance différents, etc. Mais rien de particulier, je dirais, par rapport à la maladie. Si ce n'est que très discrètement, il y avait un accompagnement quand même et puis une vision, mais je ne me rendais pas forcément compte de tout.
Karine
Oui, il y avait une attention plus.
Alain
Particulière, je pense.
Alain
C'était une évidence. C'était une évidence.
Karine
Pour les collègues, c'était une évidence.
Alain
Je ne peux pas dire à la base que j'attendais quelque chose de mes collègues, parce que le quelque chose, il arrivait naturellement. Donc non. À la limite, j'aurais pu être surpris que si les échanges avaient changé, si on avait perturbé le fonctionnement, les liens, etc. Mais dans le fonctionnement, rien ne changeait. Il m'informé de temps en temps, même si je n'étais pas sur le dossier.
Karine
C'était une façon aussi de te maintenir aussi un petit peu au courant au niveau de ce qui se passait au niveau du cabinet.
Alain
Et de me tenir en éveil, professionnelle. Même si je n'étais plus l'acteur tel que j'étais auparavant.
Karine
Et ça aussi, c'est que c'était une forme de solidarité, justement, de le tenir informé, même sur des dossiers sur lesquels il ne travaillait pas, qu'on lui dise « Tiens, tu sais, ce client, il a eu assise. » Je trouve que c'était bien fait de la part des collègues. Et ça, ça s'est fait tout naturellement, sans aucun... Moi, si je ne suis pas allée leur dire, pas du tout.
Alain
Spontané. Spontané, oui. Oui, c'était spontané. C'est important aussi pour les personnes qui peuvent être confrontées à une annonce comme le myélome, de savoir que finalement, il faut agir naturellement, être solidaire, mais d'agir naturellement et spontanément. Et pas essayer de changer sa façon d'être. Ça, c'est peut- être pas mal de le dire. C'est peut-être votre rôle de dire ça, qu'il ne faut pas forcer les choses.
Karine
Et après, quand on a recommencé un petit peu à... Enfin, recommencé, oui. Oui, on peut dire recommencé, parce qu'il y a une période où on n'est plus trop, mais on ressortait ensemble. On allait au restaurant, ça nous arrivait assez souvent.
Alain
Régulièrement. Surtout le midi. Oui, c'est vrai.
Alain
Déjà, le midi, quand nous étions au siège. Puis après, on a repris le phénomène des sorties.
Karine
Ça faisait plaisir, en fait. On se disait, déjà, il fallait que tu en aies envie à ce moment -là. Il fallait que tu en aies envie. Dans la démarche.
Alain
Tout à fait.
Alain
L'amitié s'est fait au fil du temps..
Karine
C'est ça. Et s'il n'y avait pas eu cette maladie aujourd'hui, on en serait au même- Je crois qu'on sera amis aujourd'hui. Oui, bien sûr. C'est évident. Moi, j'en suis sûre, même, de toute façon.
Alain
C'est évident. Il y avait énormément de tendances qui conduisait à Ouais.
Karine
Tout à fait.
Alain
Si vous voulez, des petits détails qui faisaient, qui additionnaient les uns aux autres. Peut -être que nous avions aussi des approches de la vie, des aléas de la vie faisant, etc, qu'on arrivait à partager. Mais des aléas de la vie, je ne dis pas dramatique, pas la maladie grave, mais des fois, il y a quand même des phénomènes, d'abord des épi- phénomènes et des phénomènes qu'on pouvait partager sans pouvoir forcément les régler et compagnie. Et c'est pour ça qu'on quand on dit la confiance petit à petit, i l y a la confiance professionnelle, puis la confiance après amicale, etc. On se confie.
Karine
Et puis, il faut savoir, moi, quand je suis arrivée, c'est vrai que j'étais toute seule. Je ne connaissais personne, vraiment personne, en région parisienne. Et c'est vrai qu'il a été vraiment d'un soutien moral énormément parce qu'il m'aidait, il me donnait des conseils. Même parfois, ça pouvait être pour certains papiers, je ne sais pas. J'avais 23 ans, je débarque à Paris. Je leur ai raconté que j'avais dit bonjour dans le métro, que tout le monde m'a regardée, personne ne m'a répondu. Je ne comprenais pas pourquoi, parce que moi, dans le Sud, on monte dans les transports, on dit bonjour, tout le monde répond. Et là, ils ont éclaté de rire. Ils ont dit, je pense qu'ils ont dû croire, les gens ont dû croire qu'est -ce qu'ils faisaient la manche. Il faut que vous faisiez la Manche. J'étais un peu perturbée quand même. Mais j'étais toute seule, j'étais en chambre, j'avais une chambre chez l'habitant du côté de Bagnolet. Je ne savais pas trop, je découvrais tout ça et je crois qu'Alain, il a eu ce côté un peu... J'ai bien sûr toujours mes parents, mais mes parents étaient loin. Donc ce côté un peu « Comment je peux faire pour faire ?
Karine
» Je ne sais plus. Je n'ai plus.
Alain
Forcément de... Oui, un accompagnement, une aide.
Karine
Une aide à l'installation, à la vie. Oui, à l'installation de la vie, parce que j'arrivais, puis après...
Alain
Le contact parisien n'est pas facile. Donc ça, je.
Karine
Ne l'oublierai jamais parce que quand on arrive comme ça, seul et qu'on ne connaît personne, bon, il y a le travail, certes, mais j'avais plus envie de rester au travail que de rentrer après, aux côtés de Bagnolet, parce que ce n'était pas terrible. Mais bon, au moins, voilà, j'ai pu... Et ça, c'était important, je pense.
Déjà, il y avait quelque chose, je n'ai jamais oublié ça. Je veux dire, après, bien sûr, la relation professionnelle, oui, bien sûr, c'était mon supérieur, responsable du cabinet. Voilà, c 'était mon patron, je ne disais pas. Oui, oui. Même sans dire.
Alain
Le employé de la terrasse. -comme de patron.
Karine
Oui, patron, c'est un peu... On dit beaucoup ça dans le Sud, d'ailleurs. Je crois qu'on ne le dit pas ici, je ne sais pas. Mais voilà, c'est comme ça. Et après, ça s'évite. Mais oui, bien sûr, en fait, sans la maladie, c'est évident. Pour plein d'autres choses, on aurait les relations que nous avons aujourd'hui, c'est évident. On ne s'est pas concerté.
Alain
Avant pour ça.
Karine
Non, pas du tout. Donc c'est évident.
Alain
Nous avons plaisir à nous retrouver.
Karine
Oui, toujours. On prend contact. On peut passer quelques mois sans forcément se voir. On s'envoie des messages, quelques photos, on part en week- end, tout ça. Puis après, quand on se retrouve, on est.
Alain
Toujours contents de se retrouver. De temps à autre, je vais les embêter, je vais déjeuner avec eux. Normalement, j'arrive pour déjeuner. Il y a certains collègues, puis on va dire le gérant actuel, à ses heures, je suis encore là. Donc certains collègues arrivent à bricoler, pas à travailler. Comme je n'occupe pas trop le terrain et que je ne suis pas bavard, mais donc, si vous voulez, il y a quand même, au sein de ces cabinets, il y a quand même des approches fortes. J'ai plaisir à y aller et je pense que le plaisir est réciproque.
Alain
De temps en temps, on me dit « Quand tu peux venir ? Est-ce que ça va ? Tu peux passer ? » ou alors Karine me téléphone et me dit « Il y a les collègues qui seront là tel jour même » parce que les plannings sont maîtrisés bien en avance. Karine me fait savoir « Les collègues, ils seront sur Paris tel jour. Si tu peux passer, ça serait bien. » Si je peux, c'est avec grand plaisir que je vais les retrouver sûrement par NAS. Ça, je crois qu'il faut le garder. Ce sont des liens forts. La profession est une chos e, l'exercice du métier est une chose. Puis après, c'est tout.
Karine
Et puis même entre nous, il y en a certains, avec les deux qui restent là, ils me disent « Tiens, t'as des nouvelles d'Alain ? »« Oui, oui. Vous pouvez l'appeler aussi. » Mais bon, ils sont pris dans leur... C'est toujours pareil, il y a toujours un petit message, tout ça. Et d'ailleurs, le nouveau gérant, il rigole parce qu'il connaît Alain. Et puis quand je lui ai dit que je dois appeler Alain pour telle ou telle chose, « Ah bon ?
»alors c'est bon, vous en avez pour une heure. Je vous appelle pas pendant une heure. »il me dit ça. Ou alors quand je lui ai dit qu'Alain vient déjeuner avec nous, il nous dit « Bon, allez, j'ai compris cet après - midi alors que bon, on est là, bien sûr. » Mais c'est vrai que c'est quand même... On traîne un peu, c'est très sympa. Ça fait partie de la vie aujourd'hui.
Alain
Il est vrai aussi qu'on peut avoir des communications longues, mais en dehors du temps de travail. Ah oui
? Oui, oui. Non, non, l'un n'exclut pas l'autre. Mais c'est vrai que partant de dire « Les collègues vont être là si tu passes tout un mot à un autre. Et puis même, il y a un échange. Et puis, on combine comme ci, comme ça, il y a des dossiers en plus, des dossiers en moins. Sans parler du contenu d'un dossier.
Parce que ça, je ne sais pas, ce n'est plus, pour moi.
Karine
Ce n'est plus de ta vie. Il y en a que tu connais toujours.
Alain
Je connais de noms parce qu'ils sont restes que j'ai connus.
Karine
Et puis ils sont toujours là. Oui, bien sûr.
Alain
Donc ça fait quelque chose, une petite piqûre de rappel. Mais seulement, piqûre de rappel, maintenant, nous sommes en 2023, donc la balle est dans un autre camp. C'est un autre camp. Il y a un petit peu être parent et être papi. C'est pas pareil, c'est pas la même responsabilité.
Karine
C'est ça.
Alain
C'est une image, mais maintenant, je ne suis plus pro.
Karine
Oui, c'est vrai.
Alain
Tout au long de mon parcours médical, il y a eu beaucoup d'encouragement, parce que quand je donnais des signes de dire « C'est une journée avec la chimiothérapie et tout, la journée n'est pas mauvaise, etc. Il y a des jours, je disais « Oh là là ! Je ne dors pas, je suis épuisée. Il y a rien à y faire, les calmants et tout, rien n'y fait. C'est la douleur, la douleur, la douleur. » Et on sentait qu' à côté, d'abord, il y avait une écoute. Après, tout en sachant éventuellement que tu ne pouvais rien y faire. Mais il y avait des encouragements en disant « On continue la lutte. Le combat ne s'arrête pas. Surtout, ne quitte pas la tenue. Continue. Bats-toi.
Karine
C'est ce que j'avais tendance à la faire et c'est ce qu'il fallait que je pense. Parce qu'il attendait pas autre chose Alain, de toute façon. Il aurait pas voulu, justement, à ses côtés, qu'on soit là en disant qu'on croise les bras et qu'on dise « Écoute, vois comment ça se passe. »
Alain
Non, non. C'est « Ba t-toi pour les tiens » puis accessoirement pour nous. » Mais c'était d'abord pour les tiens.
Alain
Y avait de l'entrain et de l'entraide.
Karine
Mais.
Alain
De l'entraide non dévoilée. De l'entraide au courant.
Karine
On était là autour de toi, proche. Tu sentais qu'on était là. On n'était pas là avec nos gros sabots, mais on était là discrètement. On était là.
Karine
Ça ne veut pas dire que nous, on n'avait pas peur non plus. Parce qu'en dehors, dans les coulisses, on là, on était sur scène. Mais dans les coulisses, c'était autre chose. On n'en menait pas large parce qu' on essayait de se renseigner aussi. Et puis bon, c'est vrai qu'après, quand tu as commencé le traitement, comme je disais, c'était mieux après. Tu as arrivé mieux à en parler.
Alain
C'était plus facile. J'étais rentré dans la maladie, puis j'avais plus d'éclaircissement, ce que c'était, comment ça se passait. Allez imaginer un myélome. Par rapport à un autre cancer, on dit « On va faire l'ablation de telle partie du corps. » Un myélome, le sang, la moelle osseuse, comment l'imaginer ? C'est très difficile. Avec le temps, mais le temps joue en notre faveur. Nous l'avons bonifié. Et puis merci à elle et à eux.
Dans ce troisième et dernier épisode, Alain et son hématologue, le Dr Karim Belhadj, nous dévoilent la relation particulière qui les lie.
Alain partage avec son médecin les défis, les espoirs et les questionnements qui jalonnent son parcours face au myélome. Quels sont les moments de réflexion et d'admiration partagés au cours de cette conversation ?
Entre discussions médicales et émotions humaines, explorez cette relation professionnelle dans laquelle on retrouve un spécialiste qui admire son patient.
Alain
Myéloman depuis mai 2012, après six mois d'une grande fatigue générale, un rhume qui n'en finissait pas, même avec consultations médecins généralistes, pour déboucher au mois de mars 2012 sur rendez-vous généraliste, prise de sang répétée trois consécutives qui décèlent un taux de vitesse de sédimentation 140, 137 et 140, dont la une lettre directe pour le service hématos et le docteur Belhadj de Henri Mondor. Après consultation et examen sur tout le mois d'avril, le 2 mai 2012, il m'était déclaré que le myélome était avec moi et m'accompagnait.
Dr BELHADJ
Bonjour, Karim Belhadj, je suis praticien hospitalier dans le service d’hémopathie lymphoïde de l'hôpital Henri Mondor. Et au sein de ce service, je suis le référent myélome. J'ai rencontré Alain à l'occasion du fait qu'il était adressé dans notre structure pour prise en charge d'un vraisemblable myélome. Le myélome, c'est une hémopathie maligne, donc un cancer de la moelle osseuse.
Alain
Quand je suis arrivé à Henri Mondor, le généraliste, sur la lettre d'accompagnement signifiait qu'il y avait une suspicion de myélome. Mais comme avait dit ce généraliste, attention, je ne suis pas spécialiste et après, ça ne dépend pas de mon domaine. Donc vous prenez rendez- vous, vous devriez avoir rendez- vous rapidement, c'est vrai, j'ai eu un rendez-vous très rapide à l'hôpital Henri-Mondor et après, on va dire, à peu près un mois d'examens multiples et variés. C'est là que le myélome a été déclaré et annoncé.
Dr BELHADJ
D'abord, il faut féliciter votre généraliste, Alain, parce qu'un généraliste, c'est une maladie rare le myélome. Il voit un à deux myélomes dans sa carrière. Donc d'avoir réussi à le suspecter, c'est vraiment tout à son honneur. Et ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est qu'on peut aller plus vite dans le diagnostic, mais quand il n'y a pas de trouble métabolique, comme c'était le cas pour vous, on peut prendre son temps et ménager à un caisson de décompression qui soit progressif. C'est important de ne pas aller plus vite que la musique quand cela n'est pas nécessaire.
Alain
Il est vrai qu'il y a eu l'effet d'annonce qui a été fait, mais vraiment en personne, par le docteur Belhadj. Et d'où ma surprise, parce que m'annonçant que le myélome m'accompagnait, je ne connaissais pas du tout ce terme. Même si dans la famille, les amis et tout, il y a eu de multiples cancers, ce mot m’échappait totalement. Voyant ma surprise, le docteur Belhadj, me dit « Mais est-ce que vous savez ce qu'est un myélome ? » je répondis « Non.» « Eh bien, je vais vous expliquer. Un myélome, c'est un cancer de la moelle osseuse avec quelques variétés. Et puis, Alain s'est quand même effondré, a perdu le pied. Pas effrayé, mais je ne sais pas si on dit de l'anxiété. Perdu.
Dr BELHADJ
La consultation d'annonce, dans ma spécialité, où on n'annonce quasiment que des cancers, c'est une déflagration. L'équipe de Toulouse, conduite par le professeur Laurent, a beaucoup travaillé sur cela et le fait qu'il travaillait à Toulouse n’est pas anodin parce qu'il a demandé l'aide de psychiatres qui avaient travaillé sur la catastrophe AZF. Il s'est avéré que les psychiatres lui ont annoncé que beaucoup de patients avaient un stress post- traumatique lié à cette consultation d'annonce, que certains patients qui étaient pourtant guéris et qui n'avaient plus de traitement depuis de nombreuses années se réveillaient en sueur en pleine nuit en revivant cette consultation d'annonce. Moi, j'ai toujours en tête que cette consultation d'annonce, elle va marquer la vie du patient. Il y aura avant la consultation d'annonce et après la consultation d'annonce. C'est une véritable déflagration. Et ce qu'il faut savoir, c'est que la consultation d'annonce, dans les faits, n'est pas un fusil à un coup.
Parce que vous annoncez au patient « Vous avez un cancer ? », il vous entend plus. Il vous entend plus dans le sac à tête, c'est « Je suis plié, je suis plié, je suis plié ». Donc vous annoncez le diagnostic et les conséquences du diagnostic, c'est- à- dire le traitement. Mais il faut vous dire que dans les jours qui viennent, il faudra remettre l'ouvrage sur le métier et reprendre à zéro pour que ça imprime. Ça, c'est la première chose sur la consultation d'annonce. La deuxième chose importante pour la consultation d'annonce, c'est que vous annoncez un cataclysme et il faut que vous ouvriez une lucarne, une fenêtre et que vous donniez une perspective aux malades. Et dans le cas des myélomes, et dans le cas d'Alain, c'était mon challenge à moi, c'est faire que vous mouriez avec le myélome, parce que ce n'est pas une maladie qu'on guérit ou alors vraiment, il y a une infime minorité des malades qui vont être traités que par une seule ligne de traitement. Mais mon challenge à moi, c'est de faire que vous ne mouriez pas du myélome.
Alain
Il est vrai que dès cette consultation d'annonce, qui a été quand même en deux parties, je dirais, c'est déjà des propos vis- à- vis de moi et une approche très circonstanciée, je dirais, parce que j'ai même de part de verre moi les premiers petits schémas que vous m'avez fait avec traitement potentiel, le déroulement de la programmation, le traitement de la maladie. Au moment de l'annonce, il y avait deux traitements potentiels. Un traitement conventionnel, m'avez- vous dit, ou alors après, il y avait quand même un traitement autre, protocolaire. Donc j'avais le choix. J'ai entendu, c'est rentré, mais comme vous avez dit très justement, c'est ressorti. Là, rien n'était, je dirais, rien ne restait, ça n’imprégnait pas. Ce que j'ai imprégné, c'est que vous avez rajouté, parce qu'on avait parlé que j'avais vraiment deux petits- fils, très jeunes et compagnie. Et là, docteur Belhadj, je me dis, mais vous savez, avec mon équipe, normalement, on ira jusqu'à la majorité voire le mariage de vos petits-enfants.
La majorité, c'est déjà pas mal la majorité, mais ce n'est que 18 ans. J'ai quand même une pointe, pourtant, j'avais une belle perspective d'avenir qui était quand même annoncée. Et en rajoutant après « Écoutez, avec vous, vous nous faites confiance, vous me faites confiance et avec mon équipe et on vous emmènera. »
Dr BELHADJ
Et il se trouve qu’à l'époque où Alain est arrivé à l'hôpital Henri-Mondor, on avait un essai thérapeutique national de phase 3 qui testait deux approches thérapeutiques, l'une avec l'intensification thérapeutique et autographie de cellules souches et l'autre sans intensification thérapeutique. J'ai présenté cet essai clinique à Alain. D'un point de vue scientifique, l'essai thérapeutique qui pose la question, c'est l'assurance d'avoir une question qui est, en anglais, je dirais « up-to-date », mais qui est innovante et entourée de grandes garanties.
Alain, comme d'autres, je n'ai pas essuyé de refus dans cet essai, il a accepté d'entrer dans cet essai après que je l'ai informé de la question posée par l'essai, des conditions de garantie qui lui étaient apportées du fait qu'il était dans un essai français qui était passé devant une commission d'éthique. Et donc on a commencé notre chemin par l'inclusion dans cet essai.
Alain
Avec un tout petit temps d'arrêt, si vous permettez, Docteur. A un moment, je venais un matin pour signer tout ce qui était protocole, etc. Tout allait bien, il faisait beau, c'était au mois de mai et je ne sais pas pourquoi, à un moment, j'ai eu un gros blocage. Je me suis levé, j'ai quitté votre bureau, je ne vous ai même pas salué, je suis parti. Ça a duré longtemps, vous avez tout fait pour me joindre, etc. Puis bon, il n'y avait personne au bout du fil, etc. Et je suis revenu, oui, dans un laps de temps court. Il fallait prendre la décision, ce qui n'était pas facile pour moi parce que je suis souvent dans l'indécision. Et sur ces volets, vos recommandations, vos propos, les petits schémas, le développement du parcours, etc, plus la petite couche qui était arrivée, la petite couche affective avec mes petits enfants qui devaient grandir, qui devaient être avec leur grand- père, etc, il y avait des arguments, on va dire, quand même un peu forts qui m'ont bousculé parce que la preuve, c'est que je me suis levé, je suis parti. Je suis revenu et de ce jour- là, c'est vrai qu'on a fait un parcours sans interruption et sans décalage de rendez- vous du tout.
Dr BELHADJ
Il y a la prise en charge pour ce type de maladie, qui est une prise en charge impactante, c'est plusieurs mois de traitement. Ça nécessite une part de laisser aller de la part du malade. Et se laisser- aller ne peut exister que si on a confiance en l'équipe soignante. Il y a peut- être une part de théâtre. La consultation d'annonce et la relation qu'on va entamer, qui n'est pas une relation qui va durer quelques consultations, mais qui va durer des années et des années, ça nécessite peut- être aussi de se vendre, soit, pour faire passer notre message. Donc, il y a un lien. Moi, je le vis comme ça, il y a un lien à tisser avec le patient. Et ce lien, il est basé sur la confiance et sur le fait qu'on n’enjolive pas la situation, on dit ce qu'on doit dire et on laisse au patient la latitude d'adhérer ou pas aux messages et à la stratégie thérapeutique qu'on propose, étant entendu qu'en dernier ressort, c'est lui qui choisit. Et donc, si ce lien de confiance est obtenu, tout va bien parce que je travaille dans un service qui est un service qui fait beaucoup de myélome.
Donc, il y a un savoir- faire des médecins, des infirmières dans la prise en charge de ce myélome. Mais il faut faire passer le fait que on a ce savoir- faire et que le patient peut nous faire confiance.
Alain
Il est vrai que les arguments aussi du début du parcours, ça a été « Si vous nous faites confiance, il n'y a pas de problème. Vous prenez la tenue de combat, parce que ça, c'est des mots qui sont forts, et nous, on vous amènera les armes pour vous défendre, parce qu'il y en a un qui est en face, il vous a déjà attaqué, il est au coin du bois et si on ne fait rien, il va se développer.
Dr BELHADJ
C’est ce qui est beau dans ma spécialité, c'est qu'on va suivre les patients pendant des années. Et très clairement, le lien n'est pas celui qu'on peut tisser dans d'autres spécialités. Un, on se voit souvent. Deux, on se voit longtemps. Et trois, on peut être suivi pour un diabète ou pour pourquoi pas une hypertension artérielle pendant très longtemps. Mais là, il y a l'épée du cancer, donc ça induit une relation qui dépasse, à mon sens, la relation médecin-malade dans d'autres pathologies. Après, je dis toujours, l'empathie, c'est bien, mais la technique, c'est mieux. Je préfère être suivi par un très bon technicien peu empathique. Tant pis, je n'aurais pas établi une relation, plutôt que par un médecin empathique qui n'est pas efficace. Donc, si on peut joindre les deux, c'est bien, mais avant tout, il y a la technique et la qualité de l'offre de soins qui est apportée aux malades. Après, je suis un Méditerranéen, donc je suis dans le lien.
Le traitement, c'est quand même très impactant. Ça dure longtemps. Il y a des passages répétés en hôpital deux jours, puis en consultation. On se voit encore tous les trois mois, dix ans après.
Alain
Ce qui est bien parce que même au départ, avec une appréhension, on m'a dit de l'hôpital en tant que structure. Me concernant, lorsque le traitement principal s'est arrêté, plusieurs fois par semaine quand même à Henri Mondor, puis un jour, le docteur m'annonce comme ça en disant « Bon, maintenant, on se voit dans un mois. » Et là, même avec cette appréhension au début que j'avais de l'hôpital, il y a eu une impression d'abandon, pendant que ce n'était pas vrai. C'est l'avancement du traitement qui faisait qu'on passait des phases, pas au quotidien, mais de plusieurs fois par semaine, on se disait « On ne se voit que dans un mois. Mais ne vous inquiétez pas s'il y a quelque chose, vous venez, vous appelez, on sera toujours là. » Et c'est vrai qu'il n'y a pas eu, parce qu'on s'est vu pendant quelque temps tous les mois, puis après ça a été tous les deux mois et maintenant, depuis des années, c'est tous les trois mois.
Dr BELHADJ
Rien d'autre à ajouter, si ce n'est qu'effectivement, il y a cette sensation d'être sans filet quand les mots d'habilité de traitement changent et permettent d'espacer les contrôles. Alain fait par exception, par rapport aux autres malades, il y a un sentiment au départ d'insécurité du fait que on ne se voyait pas aussi souvent qu'avant.
Alain
Pour moi, je l'ai pris comme un avantage. Mais c'est vrai que le docteur Belhadj m'avait annoncé « Surtout peut-être dans votre parcours, évitez de regarder ou d'aller consulter Internet, etc. Si vous avez des questions, quelles qu'elles soient, vous vous les écrivez, puis vous venez, puis avec l'équipe, etc. On répondra à vos questions, mais en visu. N'allez pas chercher ailleurs. Nous, on est là pour vous vous répondre. Des fois, c'est vrai qu'il n'y avait pas qu'Alain n'importe comment en consultation, puis des fois, Alain, il avait beaucoup de questions. Donc le docteur Belhadj arrivait à y répondre, mais dans le temps, parce que, comme on se voyait régulièrement, mais j'ai toujours eu des réponses sans passer par le site Internet.
Dr BELHADJ
Internet, il y a tout et n'importe quoi. À l'époque où on a fait le diagnostic et le traitement, quand on y va sans guide, ça peut être très, très, très anxiogène. On est là, on prend le temps. Moi, j'ai des créneaux de consultation d'annonce. Une consultation d'annonce normale et une consultation d'annonce, ça a strictement rien à voir. Consultation d'annonce, ça peut durer une heure et demie. Donc j'ai des créneaux matinaux pour ça, où le temps est pas compté. Je ne regarde pas ma montre en me disant « La maladie suivante attend. » Non, on prend ce qu'il faut comme temps. Et comme disait Alain, je dis toujours aux malades, quand une idée, quand une question vous passe par la tête, écrivez-la. Parce qu'il ne faut pas nier l'émotion, l'angoisse qu'induit le passage à l'hôpital et chez le médecin. Et quelquefois, les malades me disent « J'avais des questions à vous poser, mais là, j'ai oublié. » Donc, ce que je dis régulièrement aux malades, c'est quand une question vous passe par la tête, écrivez-la et venez me voir.
Et surtout, ne vous censurez pas. La seule question idiote, parce que les malades ont peur d'être posés une question idiote, à mon sens, la seule question idiote, c'est celle que vous vous n'êtes pas poser. On a tous notre domaine de compétences et à chaque fois, je le dis aux patients, je dis « Vous travaillez dans quoi ? » et il me dit dans quelle partie de l'activité professionnelle il est et je leur dis « Moi, je suis une buse. Je suis totalement naïf dans ce que vous maîtrisez. » Donc, il ne faut pas avoir honte d'être naïf dans ce que moi, je maîtrise. Donc, ne vous censurez pas et posez- moi toutes les questions que vous voulez. Il n'y a pas de questions idiotes. » Voilà.
Alain
Et ça, c'est vraiment réconfortant. Parce qu'au départ, vous arrivez avec très peu de questions, parce que vous vous dites « Je vais déranger. » En dehors de la question de « Je vais déranger. » Et puis vous vous dites « Le docteur me répond. Première question, deuxième, il me répond. » Donc, au fil du temps de l'avancée, de tout ce que nous ressentons, que ce sera au travers des effets indésirables, etc, est-ce que normalité, pas normalité ? Est-ce qu'on peut faire quelque chose, pas quelque chose ? On écrit, on développe et on a des retours. Et ça, c'est important parce que c'est vrai que par rapport à un médecin, moi, au départ, pas à Henri Mondor, mais je dirais dans mon parcours de vie, nous sommes toujours hésitants. Ce n'est pas le même champ professionnel, etc. Puis, c'est notion de dire « Mais si je dérange ? », ou « C'est une question naïve ? », ou « Il n'y a pas à y répondre ».
Dr BELHADJ
Le myélome est, dans mon secteur d'activité des hémopathies lymphoïdes, la maladie qui a eu le plus d'autorisation de mise sur le marché. Quand j'ai commencé à faire de l'hématologie et qu'on disait à quelqu'un « Tu vas prendre en charge les malades du myélome. » C'était pas rare qu'on dise « Pourquoi moi ? Pourquoi moi ? » C'était une partie très ingrate de la prise en charge. Pourquoi ? Parce que c'était une maladie pour laquelle il y avait très peu de traitement et une maladie où les malades mouraient assez rapidement. L'espérance de vie médiane était de trois ans et demi et surtout, leur qualité de vie pendant la durée de la maladie était très mauvaise parce que les malades avaient énormément de douleurs osseuses, ils avaient des doses de morphine importantes. Cette maladie, elle a, sur ces 15, 20 dernières années, subi de multiples révolutions qui font que pour les myélomes diagnostiqués aujourd'hui, on peut tout à fait, en tout cas pour la majorité des myélomes diagnostiqués aujourd'hui, ceux aux pronostics standards, parce qu'il y a quand même quelques pourcentages de malades du myélome qui évoluent assez rapidement. Mais en tout cas, pour la très grande majorité des malades, le challenge, c'est de leur faire atteindre l'espérance de vie d'une population témoigne du même âge et faire de cette maladie une maladie chronique dont on traite les différentes poussées.
Avec le recul, Alain a déjà 11 ans d'antériorité dans la maladie. Je pense qu'on a toutes les chances d'arriver à l'espérance de vie d'une population de témoins qui n'aurait pas la maladie. C'est une maladie passionnante parce que, je vous dis, tous les deux ou trois ans, les standards de traitement changent. Et d'ailleurs, je le dis à tous mes malades et malades me disent « Mais si je rechute, comment vous allez me traiter ? » Je dis « Si vous rechutez dans l'année, je sais comment je vais vous traiter. Si vous rechutez à trois ans, je ne sais pas. » Et c'est une excellente nouvelle pour vous parce que les innovations thérapeutiques font que les standards de traitement changent régulièrement et très rapidement. Et c'est le cas de cette maladie.
Alain
Il est vrai que moi, il y a le myélome qui m'a rattrapé en 2012, mais auparavant, depuis 1986, je suis en traitement pour l'hypertension qui n'a rien à voir avec. Donc, je ne vais pas dire que ça se cumule, mais il y a le myélome, il y a l'hypertension, mais aujourd'hui, je suis là, présent, je me déplace, j'arrive à être actif. J'ai retrouvé des sensations, etc. La vie, c'est quand même un plaisir. Donc, en espérant que le chemin va continuer le plus longtemps possible.
Dr BELHADJ
Je n’ai trop de doutes vous concernant, compte tenu du recul dont nous disposons.
Alain
Moi, je peux parler au niveau d'une association qui est l’AF3M. Vu que l’AF3M est une émanation de l'IFM quand on remonte dans les années 2005-2007, et le concours de l’AF3M, c'est surtout au travers d'amener, d'être à l'écoute, d'accompagner dans la mesure du possible, d'organiser des choses par rapport à des patients atteints du myélome, des aidants, des accompagnants. Et ça, ça fait partie d'une autre richesse par rapport à l'être humain.
Il est vrai que l’AF3M, l'Association française des malades du myélome multiple, est une association en définitive de malades en direction de malades. À savoir que dans son organisation, que ce soit le conseil d'administration et autres, dans sa dynamique de tous les jours, c'est tenu, on va dire, par des membres bien sûr bénévoles, au bénéfice de la source d'autres personnes, mais malades, aidants et accompagnants. Mais en tout cas, je me sens bien dans cette association et je suis très participatif.
Dr BELHADJ
Moi, ils me bluffent. Les gens qui sont dans l'association me bluffent. Quand il y a quelque chose qui m'émeut, qui me met en danger, j'ai plutôt tendance à l'éloigner. Et le militantisme associatif au sein de l’AF3M, franchement, moi, je suis admiratif parce que cette chose qui est qu'on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête, ils y sont confrontés tous les jours. Il y a des gens qui rechutent, il y a des gens qui meurent au sein de l'association. Et franchement, de se dire « Tant pis, j'affronte ça». Moi, je vous dis franchement, ça m'émeut et ça me rend admiratif. Nous, on apporte notre petit écho, mais c'est un petit écho d'aller aux journées de l'association, la Journée nationale du myélome, où on est en contact avec les malades, les aidants. Il y a énormément d'angoisse et que des malades aient choisi d'affronter cette angoisse tous les jours qui les ramène toujours à leur propre statut, j'avoue que moi, je suis bluffé et je trouve que l’AF3M est une association remarquable, très bien organisée, avec des volontaires qui sont très engagés. Et ce n'est pas de l'associatif lambda, c'est les associations de malades et les associations de malades où la maladie met en jeu le pronostic vital, ça me laisse admiratif.
Je voulais ajouter quelque chose. Ça va dans les deux sens, la relation et le bien qu'on peut s'apporter mutuellement. Quand on a commencé cet essai thérapeutique, on ne se doutait pas qu'il y avait des malades qui, 11, 12, 13 ans après, seraient toujours en rémission complète. Et pour cette pathologie, mais aussi pour d'autres que je traite, quand je vois des malades qui ont un tel recul, je me dis « Waouh ! C'est juste fantastique. » Et je sors de ma consultation beaucoup plus légère, je veux dire. C'est un chouette boulot que d'apporter ces gens-là, même si aussi on se prend des situations difficiles. Mais c'est ce que je dis dans le milieu, mais aussi dans les lymphomes que je traite, voir des malades 12, 13, 15 ans, à la fin, je leur dis « C'est vous qui me soignez, la consultation, ce n'est plus moi, là, vous êtes bien et tout. » La relation, elle est dans les deux sens et moi, voir des malades avec un tel recul qui sont en rémission complète, ça me booste.
Alain
C'est très agréable aussi pour le patient de voir que les années passent. On a tiré quand même un grand profit, justement, de ce partage, vous, amenant la qualité des soins, nous les supportant, au départ avec les charges que ça conditionnait et compagnie. Donc, il est vrai que pouvoir aussi faire profiter d'autres personnes en difficulté par rapport à la maladie. Je parle d'expérience, je ne parle pas de traitement, etc. D'un autre côté, c'est la personne qui va vers la personne et je crois que oui, le myélome, moi, m'a conduit à cesser mes activités professionnelles, mais le myélome m'a aussi permis d'aller vers l'autre.
AF3M : Association Française des Malades du Myélome Multiple
L’AF3M est une association destinée aux malades du myélome multiple et à leurs proches. Le site internet permet aux patients et à leurs aidants de se renseigner sur les traitements du myélome multiple et les recherches en cours, de contribuer à apporter aide et soutien en développant des liens entre les malades et l’association et de s'informer sur les actions engagées par l’association.
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