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Smoldering MS

Édito

Depuis quelques années, l’expression smoldering disease a envahi le paysage sémantique des neurologues. Si le feu qui couve sous la braise est une image qui parle à tous les amateurs de camping et de grillades, comment traduire cette expression dans un contexte médical en français ? Neuro-inflammation chronique et diffuse ? Maladie latente ? Progression insidieuse ? Aggravation à bas bruit ? Probablement un peu tout cela à la fois, donc vous nous pardonnerez d’avoir conservé quelques anglicismes. Nous allons, dans cette gazette, essayer de survoler les flammes pour nous approcher au plus près du concept.

Dr Géraldine Androdias (Lyon)
Dr Caroline Bensa (Paris)

1. Au-delà du PIRA, le SAW ; au-delà du NEDA, le NESDA

G. Androdias
Scalfari A et al. Smouldering-Associated Worsening in multiple sclerosis: an international consensus statement on definition, biology, clinical implications, and future directions. Ann Neurol 2024;96(5):826-45.

Cet article est issu du travail de 15 experts internationaux de la SEP qui ont validé, grâce à la méthode Delphi, 29 propositions sur le smoldering-associated worsening (SAW). La définition retenue est celle d’une aggravation clinique lente, souvent subtile, non liée aux poussées (par opposition au RAW (relapse-associated worsening)), non limitée aux formes progressives et pouvant survenir précocement, parfois même avant le diagnostic clinique. Il s’agit donc d’un concept très proche du PIRA (progression independent of relapse activity), mais qui, selon les auteurs, est plus vaste que ce dernier, fondé principalement sur des paramètres moteurs. Le SAW peut en effet être associé à des manifestations non motrices, telles que la fatigue, le déclin cognitif, les troubles vésicosphinctériens, etc. Sa détection et son suivi nécessitent d’avoir recours, en plus des mesures conventionnelles et de l’EDSS, à des tests cognitifs plus fins, des échelles de fatigue, des PRO (patient-related outcomes), des biomarqueurs digitaux, etc. Sur le plan physiopathologique, cette aggravation insidieuse est sous-tendue par une inflammation chronique, compartimentée au système nerveux central (SNC), dans laquelle la microglie et les astrocytes activés jouent un rôle prépondérant. Le vieillissement joue également un rôle important via l’épuisement des mécanismes de compensation, la diminution des capacités de remyélinisation, le phénotype pro-inflammatoire des cellules gliales, la survenue de comorbidités notamment vasculaires, etc. Les biomarqueurs dans le sérum et/ou dans le liquide cérébrospinal (LCS) considérés comme les plus intéressants par le panel sont la GFAP (Glial Fibrillary Acidic Protein), la CHI3L1 (chitinase 3-like protein 1) et la CXCL13 (chemokine ligand-13), substances possiblement utilisées en combinaison. Sur l’IRM, les lésions d’expansion lente (SEL), les lésions avec anneau paramagnétique (PRL) et les lésions corticales semblent refléter de manière pertinente le SAW. Pour finir, les auteurs proposent le concept de NESDA (No Evidence of Smoldering Disease Activity), comme objectif à atteindre de nos futures stratégies thérapeutiques.

2. La majorité silencieuse

G. Androdias
Hamzaoui M et al. Positron emission tomography with [18F]-DPA-714 unveils a smoldering component in most multiple sclerosis lesions which drives disease progression. Ann Neurol 2023;94(2):366-83.

La tomographie par émission de positons (TEP), avec des radiotraceurs ciblant la protéine translocatrice 18-kDA (TSPO), ouvre la perspective de quantifier sélectivement la densité et le métabolisme des cellules de l’immunité innée, dont les cellules microgliales, dans le SNC et représente donc un biomarqueur potentiel du SAW. Dans ce travail parisien, 36 patients atteints de SEP (récurrente-rémittente pour 12 d’entre eux, secondairement progressive pour 13 et primaire progressive pour 11) ont été suivis pendant 2 ans en TEP [18F]-DPA-714, en IRM et sur le plan clinique. Les patients atteints de SEP présentaient une inflammation innée plus importante dans la substance blanche d’apparence normale (SBAN) et dans le cortex que les sujets contrôles (n = 19), ce qui était attendu. En revanche, de manière plus surprenante, 53 % des 1 335 lésions non rehaussées par le gadolinium ont été classées comme actives de façon homogène quand le centre de la lésion était actif quel que soit le degré d’activité de la bordure (médiane = 17/patient), 6 %, comme rim-active quand la bordure de la lésion était active alors que le centre ne l’était pas (médiane = 1/patient) et 41 %, comme non actives lorsque ni le centre ni la bordure n’étaient actifs (médiane = 14/ patient). De manière intéressante, la proportion de lésions actives de façon homogène ne différait pas selon le traitement de fond ou selon la forme récurrente-rémittente ou progressive de la maladie. De plus, dans l’analyse longitudinale, le nombre de lésions actives de façon homogène était le facteur le mieux corrélé à l’atrophie corticale d’une part, et à la progression clinique, mesurée par l’EDSS, d’autre part. Ainsi, cette étude en TEP suggère qu’une proportion nettement plus élevée qu’attendu de lésions de SEP, considérées comme non actives en IRM conventionnelle, c’est-à-dire non rehaussées après injection de gadolinium, “se consume” à bas bruit et représente un facteur pronostique péjoratif majeur.

3. Jeune et sans PIRA, c’est mieux

C. Bensa
Simone M et al. Disability trajectories by progression independent of relapse activity status differ in pediatric, adult and late-onset multiple sclerosis. J Neurol 2024;271(10):6782-90.

Dans cette étude rétrospective de 3 777 patients du registre italien ont été évaluées les trajectoires d’EDSS de SEP à début pédiatrique (268 POMS de début jusqu’à 18 ans), adulte (3 282 AOMS de début entre 18 et 49 ans) et tardif (227 LOMS de début après 49 ans), avec ou sans PIRA. La définition du PIRA était une majoration de l’EDSS survenant au-delà de 90 jours après et 30 jours avant la survenue d’une poussée. Plus de 90 % des patients recevaient un traitement de fond, de type et de répartition comparables entre les 3 groupes. Sur le plan des trajectoires d’EDSS dans les 5 premières années, les POMS montraient un EDSS plutôt stable, tandis que les AOMS présentaient une amélioration pendant 2 ans avant de s’aggraver au-dessus de la valeur initiale, enfin, les LOMS présentaient un EDSS de départ déjà plus élevé se majorant plus vite. 27 % de la cohorte présentait une majoration du handicap, sous forme de PIRA chez 78 % des POMS, 81 % des AOMS et 86 % des LOMS. Au sein de chaque groupe, les patients avec PIRA montraient une pente de majoration de l’EDSS plus importante, cela de manière plus marquée avec l’âge. Cette étude confirme que l’âge de début de la maladie est un facteur pronostique individuel majeur, et que la progression en dehors des poussées concerne des patients de tous âges, même pédiatriques, avec un impact pronostique péjoratif d’autant plus marqué que la maladie débute tardivement.

4. L’hypothèse du double uppercut

C. Bensa
Mistry N et al. Reconciling lesions, relapses and smouldering associated worsening: a unifying model for multiple sclerosis pathogenesis. Mult Scler Relat Disord 2024;88:105706.

Les auteurs anglais de cet article ont publié des travaux d’IRM en MTR (Magnetization Transfer Ratio) de la substance blanche (SB) et grise qui les conduit à émettre une hypothèse physiopathologique réconciliant les rôles respectifs des atteintes corticales et des atteintes focale et diffuse de la SB dans le processus de SAW. La littérature a bien décrit que la progression du handicap à long terme est liée de manière très variable et incomplète à la fréquence des poussées et à la charge lésionnelle T2 visible à l’IRM cérébrale et médullaire. Il a été montré en IRM et sur autopsies que l’étendue de la démyélinisation corticale et la sévérité de l’atteinte axonale de la SBAN sont corrélées, indépendamment du volume des lésions de la SB. Les neurones du SNC sont les cellules les plus demandeuses métaboliquement de l’organisme ; ils maintiennent des fonctions le long de leurs axones jusqu’à 1 mètre du corps cellulaire. L’hypothèse de l’article est celle d’une “double atteinte” : une lésion corticale affecte les processus métaboliques du corps cellulaire neuronal et, avec elle, sa résilience axonale. Les activités de maintenance des axones les plus longs sont affectées, fragilisant leur fonctionnement et leur préservation. Ces axones sont ainsi plus vulnérables à une transsection sur leur trajet dans la SB lorsqu’ils traversent une zone d’inflammation et/ou de démyélinisation. Il convient de noter que ces 2 atteintes peuvent survenir chronologiquement dans les 2 sens. Au sein de la SB, l’activation microgliale, l’accumulation de fer (PRL) et la SEL de la lésion pourraient n’être que les conséquences visibles de la souffrance axonale sur un site de fragilité, et non pas sa cause, invisible, qui se situe dans le cortex. Ainsi, le RAW et le SAW ne seraient pas 2 processus indépendants, mais 2 processus en interaction.

Synthèse

Tandis que les neurologues disposent désormais de plusieurs traitements de fond extrêmement efficaces sur les poussées et sur l’inflammation aiguë et focale de la SB, force est de constater qu’une partie de la maladie échappe toujours à cet arsenal. Ce sont probablement tous les aspects biologiques, radiologiques et cliniques de cet échappement qui sont regroupés sous le terme de smoldering disease. Courageux et déterminés, comme nos collègues les pompiers, ambitieux quant aux objectifs de santé de nos patients, continuons à chercher le meilleur angle pour éteindre la maladie.

La lettre du neurologue

241014142634QE - 03/2025