- Article
- Source : Campus Sanofi
- 11 avr. 2025
Comment accélérer le diagnostic des maladies pulmonaires rares grâce à l’intelligence artificielle ?

Intervenant :
Pr Vincent COTTIN – Pneumologue, CHU Lyon
Modérateurs :
Pr Bruno CRESTANI – Pneumologue, Hôpital Bichat, AP-HP Paris
Pr Ludivine WEMEAU – Pneumologue, CHU de Lille
Au sommaire :
00:00 | Introduction |
00:24 | La place de l’IA en médecine : revue de la publication d’Eric J.Topol |
2:04 | L’IA en radiologie |
4:54 | Les maladies pulmonaires rares en France® |
6:16 | AccelRare : une IA pour accélérer le diagnostic des maladies rares |
7:28 | AccelRare en application |
12:38 | Quel avenir pour l’IA ? |
15:25 | Conclusion |
Une étude pilote suggère que les performances diagnostiques d’une maladie rare, par un médecin, seraient meilleures avec l’utilisation d’accelRare.
Pneumologue
Pr. Vincent COTTIN - L’IA pour accélérer le diagnostic des maladies pulmonaires rares
« Donc je vais parler de l'intelligence artificielle, du diagnostic et en fait surtout montrer que l'aide que peut nous apporter l'intelligence artificielle pour le diagnostic, ce n’est pas seulement sur l'analyse des images. Bien-sûr, il y a l'analyse des images, c'est d'abord en tout à ça qu'on pense et je vais d'ailleurs montrer un exemple, mais ce n’est pas uniquement ça. Mes liens d'intérêts : pas avec cette présentation.
Alors l'article, à mon sens, qui a vraiment posé les bases de l'intelligence artificielle et de sa place potentielle en médecine, c'est cette revue d'Eric Topol qui nous disait qu'il y avait une convergence possible entre l'approche humaine et l'approche d'intelligence artificielle. Et le gros atout de l'intelligence artificielle, c'est de gérer une masse de données massives. Comme je viens de le dire, il peut s'agir bien-sûr des données de l'imagerie, mais il peut s'agir aussi du comportement social, de l'évolution, de données génomiques bien-sûr, d'immunité, d'anatomie, d'exposition environnementale, etc. Et l'intelligence artificielle nous aide à agréger et à synthétiser ces données pour un message de sortie qui est intelligible pour les humains et qui va aider à guider possiblement ou on l'espère, la prise en charge médicale. Et l'intelligence artificielle ça ne doit pas être trop une boîte noire, mais ça va être un outil qui est créé in silico, qui doit être publié et qui doit être soumis à une validation clinique, en tout cas une validation médico-scientifique, exactement comme on le fait pour les autres outils diagnostiques ou les approches thérapeutiques, avant de pouvoir être agréé, approuvé et donc implémenté beaucoup plus largement dans la pratique des soins. Et ça a déjà été fait. Voici quelques exemples d'intelligence artificielle d'algorithme d’IA qui ont été approuvés par la FDA. Alors vous voyez notamment dans le domaine des AVC mais également de l'embolie pulmonaire. Et je pense que cette liste va continuer d'augmenter.
Et si on va maintenant dans le domaine de la radiologie, celui auquel on pense en premier dans un service de radiologie. Et j'ai emprunté cette diapositive à une collègue australienne. Il y a des endroits où on se sert de l'intelligence artificielle pour aider à faire la demande du scanner thoracique, dans le service de radiologie, pour trier les demandes, pour allouer les ressources humaines à qui va faire le scanner thoracique, pour prendre les rendez-vous, pour mieux gérer l'acquisition des données avec des protocoles automatisés, réduire la dose, réduire le temps, améliorer la qualité des images. On sait que les radiologues font ça, mais en fait, c'est maintenant en bonne partie l'intelligence artificielle qui le fait. Et puis, évidemment, une fois qu'il y a eu l'acquisition des images, pour aider à interpréter. Et par exemple, l'intelligence artificielle peut trier les radios qui sont faites aux urgences pour tout de suite nous dire s'il y a une pneumopathie ou s'il y a un pneumothorax à gérer en urgence. L’IA aide aussi les radiologues à faire leur dictée vocale, à éditer le rapport et puis ensuite à le disséminer, à le distribuer aux prescripteurs, faire le codage, la facturation, communiquer avec les urgences, s'assurer qu'on suit les recommandations, faire la revue par les pairs. Et je suis sûr qu’on en oublie.
Alors si on s'intéresse maintenant un peu plus que moi aux pneumopathies interstitielles. Dans cette revue récente à laquelle j'ai eu la chance de participer, on a essayé de voir ce qui était déjà validé. Et en fait l’IA est déjà prête pour nous aider à reconnaître un certain nombre d'aspects : l'aspect de pneumopathie interstitielle commune, ou pour nous aider à évaluer l'extension de la maladie, on a vu pendant le COVID. C'est bientôt prêt pour évaluer s'il y a une progression de la maladie ou prédire s'il y a un risque important d'aggravation ou être applicable à des scanners qui n’ont pas été faits avec la préconception qu'on allait les analyser par IA. Par contre, ce n’est pas encore mûr pour prédire la réponse à un traitement ou faire le lien avec la physiopathologie ou bien classer les anomalies interstitielles.
Alors j'ai parlé de l'exemple de l'aspect, du « pattern » pour les anglais, l'intelligence artificielle fait déjà mieux que le radiologue pour prédire si, devant un scanner thoracique : est-ce que ça correspond à une pneumopathie interstitielle commune sur le plan histologique ? Vous voyez que l’IA est en rouge, le radiologue est en bleu sur cette analyse. Et une fois que l’IA nous a dit le risque qu'il s'agisse d'une pneumopathie interstitielle commune, ça nous aide évidemment au pronostic. Ici le radiologue avait dit « C'est un aspect de PIC ou c'est un aspect de PIC probable », l’IA nous dit « la probabilité de PIC est supérieure à 50% en turquoise ou inférieure à 50% en saumon ». Vous voyez que les différences de pronostic sont majeures. Si le radiologue avait dit « c'est une PIC possible ou ce n’est pas un aspect de PIC », il y a aussi une amélioration pronostic qui est faite par l’IA.
Alors si on revient à la problématique des maladies rares, la grande difficulté c'est qu'il y a plus de 7000 maladies rares avec des problématiques communes de difficultés d'errance, de délai de diagnostic, parfois des examens inutiles et des difficultés d'accès au traitement. Et c'est pour ça qu’on a eu la création d'ORPHANET, il y a presque une trentaine d'années. Et puis les différents plans nationaux maladies rares depuis 20 ans, qui ont aidé à la création des centres experts et je crois, à faire beaucoup de progrès pour les RCP, des recommandations, des programmes de recherche et puis maintenant un lien avec l'Europe. Et on voit ces 7000 maladies, donc c'est difficile de savoir par lesquelles on commence pour dire que l’IA va nous aider à faire le diagnostic. Oui, mais il y a plus de 7000 maladies. Donc le docteur Chazal de Sanofi et Ségolène Aymé, qui est la fondatrice d'ORPHANET, ont pris une liste des maladies rares, et essayé d'évaluer celles pour lesquelles l’IA pourrait nous aider. En particulier, ils sont partis du principe que ça nous aiderait de faire un diagnostic de maladie rare quand y a un traitement avec une AMM ou un accès précoce, ou au moins une recommandation de type PNDS. Et elles sont passées de plusieurs milliers de maladies rares à 251 pour lesquelles on juge qu’un délai diagnostique serait délétère parce qu'il y a une conséquence sur la prise en charge thérapeutique si on fait le diagnostic. Et dans ces 250 maladies, il y en a une quinzaine qui sont dans la sphère de la pneumologie, et vous en reconnaissez certainement quelques-unes. Il y a la fibrose pulmonaire idiopathique par exemple, ou le déficit en ASMD.
Et sur cette base, ils ont proposé de créer accelRare, c'est à dire un outil d’IA pour aider au diagnostic de ces 250 maladies. Donc, c'est un outil de pré-diagnostic dédié aux maladies rares, qui vise à aider les généralistes mais également les spécialistes à faire un diagnostic plus précoce d'une maladie rare, et aussi à orienter le médecin qui fait le diagnostic vers les centres qui s'occupent de ces maladies. Donc c'est un outil qui est gratuit, qui est en ligne, qui est disponible pour les médecins, qui se base sur les symptômes et les examens qu'a eu le patient, qui est relativement intuitif. Et donc c'est un algorithme, dispositif médical, qui vise pour l'instant 270 maladies rares, qui a été développé évidemment avec les filières maladies rares, dont la filière RespiFil, qui est ici, qui s'occupe des maladies respiratoires rares.
Alors j'illustre ça avec un exemple clinique, une patiente que j'ai vue il y a quelques semaines : 40 ans, adressée par son médecin traitant pour maladie kystique pulmonaire, et j'y reviendrai juste après. Elle est non fumeuse, elle n’a pas d'exposition respiratoire particulière. Et puis je fais la liste de ses antécédents : elle me signale une migraine, elle me dit qu'elle a eu des IRM, une dizaine d'années auparavant, cérébrales. Et puis elle a des angiomyolipomes, qui ont été opérés pour deux d'entre eux, donc avec une néphrectomie partielle qui a confirmé un diagnostic histologique d'angiomyolipomes, que d'ailleurs, entre parenthèses, on aurait peut-être pu éviter si on avait fait le diagnostic. Et puis je regarde quand même ses comptes-rendus d’IRM cérébral. La première signale un hamartome.
La deuxième, qui a été relue et acquise par un neuroradiologue spécialisé de notre institution, conclut à peut-être un gliome de très bas grade à surveiller, ce qu’elle n’a pas fait, ou peut-être une dysplasie corticale. Et puis enfin elle me dit qu'elle est suivie par un dermatologue pour une rosacée. Alors est ce qu'on pouvait faire un diagnostic à ce stade ? Il n’y a pas de pathologie pulmonaire. J'avoue que c'est un petit peu en dehors de mon domaine. Donc oui on pourrait regarder accelRare. Et en fait, les choses se sont un petit peu simplifiées pour le pneumologue que je suis, puisqu'elle est adressée pour un pneumothorax puis un deuxième pneumothorax. C'est la découverte sur le scanner thoracique d'une maladie pulmonaire kystique multiple, avec quand même un nombre relativement limité de kystes qui, comme vous le voyez, sont disséminés dans l'ensemble du parenchyme pulmonaire, enfin j'espère que vous le voyez, avec une paroi bien fine. Elle a une exploration fonctionnelle respiratoire qui est normale, une biologie autoimmune négative, des chaines légères qui sont normales et un taux de VEGF-D qui est élevé. Donc évidemment, à ce stade, ça devient moins difficile pour les pneumologues de faire le diagnostic. Et on évoque un lymphangioléimyomatose pulmonaire associée à une sclérose tubéreuse de Bourneville.
Est-ce qu'on pouvait faire le diagnostic un petit peu plus tôt, et notamment avant d'avoir la connaissance de cette maladie pulmonaire rare ? C'est là qu’on va utiliser l'outil accelRare. Et donc on se connecte à accelrare.fr, normalement ça doit avancer tout seul. Voilà. Donc on accepte les conditions d'utilisation, on débute le diagnostic. La patiente : on nous demande l'âge, elle a 40 ans, c'est une femme. C'est assez facile. Qu'est-ce qu'elle a comme symptômes ? Et alors là, j'étais un petit peu gêné parce qu'en fait elle n’a pas de symptômes au moment où on le consulte. Mais j'ai quand même mis migraine et céphalée parce qu’il faut remplir des symptômes. Remplir des antécédents : donc la migraine. Et puis on va rajouter cet angiomyolipome puisque c'est l'antécédent principal qui est formel chez elle. Et puis ajouter qu’elle a maintenant des kystes pulmonaires multiples. Donc on lance l'analyse. Elle a aussi les rougeurs cutanées : « rosacées », il n’y avait pas, donc on a mis « rougeurs cutanées ». On nous demande quel est le symptôme principal, j'ai mis les céphalées et oui parfois ses douleurs sont pulsatiles et fortes. Là ce sont les migraines, même s’il n’y a pas forcément un lien direct avec sa maladie. Et on tombe sur une liste de maladies. Il y en a 5 toujours, dont la maladie de Bourneville qui apparaît ici en numéro 4. Et puis si je rajoute le fait qu’elle a des pneumothorax, ça va devenir un petit peu plus facile pour l'outil. On a à nouveau un certain nombre de diagnostics.
Ce qui est intéressant, c'est que si on retourne sur cet outil, on peut modifier notre requête. Et une fois qu'on a le diagnostic, on va le voir, on peut encore affiner les choses. Là on ajoute les hamartomes et on a toujours les céphalées. Et cette fois-ci, on a la maladie de Bourneville qui apparaît en premier diagnostic. Si on coche ensuite sur la maladie de Bourneville, vous voyez qu'on a un résumé de la maladie, et des manifestations, une liste des examens qui sont proposés, une liste des examens complémentaires qui peuvent être envisageables en fonction des atteintes systémiques. Donc ça c'est utile, en particulier pour les maladies qui touchent de nombreux organes comme ces maladies génétiques. Et puis ça nous oriente vers les centres experts de la filière Défiscience, que moi en tant que pneumologue, je ne connais pas très bien, mais si j'ai besoin d'un avis sur le Bourneville et sur l'atteinte neurologique, ça nous oriente vers ces experts. J'ai essayé aussi en mettant dysplasie corticale, je sais à peine ce que c'est, mais si on met dysplasie corticale, rougeur cutanée, on tombe directement sur la maladie de Bourneville. Donc oui, on pouvait faire un diagnostic plus tôt et ça peut nous aider donc à réduire l'errance diagnostique.
Alors il y a déjà eu près de 3000 questionnaires qui ont été remplis. Les médecins cochent qu'ils sont satisfaits par l'utilisation d’accelRare et une étude pilote suggère que les performances diagnostiques, pour une maladie rare, d'un médecin, seraient meilleures quand il utilise accelRare que quand il n’utilise pas accelRare. Et les perspectives de développement sont d'ajouter de nouvelles maladies avec de nouvelles filières et d'étendre le système à d'autres pays. Alors est-ce que c'est vraiment la solution d'avenir ? Peut-être.
Pour ma part, il me semble que l'intelligence artificielle va devenir de plus en plus conversationnelle. Pour l'instant, les outils qui sont les meilleurs, ce sont les outils où on donne une vignette. La vignette, c'est ce qu'il y a à gauche, c'est-à-dire un résumé de la maladie. Là il est en anglais, mais dans la vignette, il y a tous les mots clés qui vont permettre à l'intelligence artificielle de nous aider pour faire un diagnostic. Et les différents modes de conversation ont été étudiés. Ça, c'est vraiment un article qui vient de sortir dans Nature Medicine, où ils ont évalué la performance diagnostique de différents outils d'intelligence artificielle dont chat GPT, en fonction de si on le nourrit d'une vignette ou si on fait une attitude de conversation avec différents modes de conversation. Et pour l'instant c'est la vignette qui a la meilleure ou la moins mauvaise performance diagnostique.
Et la conversation c'est ce vers quoi on va, c'est ce qui figure au centre, où c'est le patient qui va interroger l'intelligence artificielle le plus souvent, éventuellement le médecin. Mais voilà : « j'ai un antécédent de pneumothorax, on m'a enlevé un angiomyolipome, je souffre de migraine, je suis anxieuse » et c'est l’IA qui va guider les questions. Pour l'instant, c'est très difficile à faire. Il faut que l’IA oriente les questions comme le fait le médecin : « Oui mais votre anxiété, ce n’est pas la question aujourd'hui. Ce qui m'intéresse, c'est votre antécédent de dysplasie corticale ou votre antécédent rénal. Je veux savoir si c'était un angiomyolipome ou pas », parce que c'est ça qui va nourrir les bons mots clés pour l'intelligence artificielle. Si on demande à Chat GPT quelle maladie associe une migraine qui, au passage je ne suis pas sûr qu'elle soit liée, elle a peut-être eu des céphalées à cause de ses antécédents cérébraux, angiomyolipome, anomalie de la peau et pneumothorax. Ça nous sort directement la sclérose tubéreuse de Bourneville.
Alors est ce que ça va nous remplacer et nous mettre en vacances ? Ce que disait Eric Topol, et je crois que ça reste d'actualité, c'est que ça va être un outil d'aide. Et l'analogie qu'il prend, c'est celle des voitures autonomes. On a des difficultés à faire confiance, en tout cas en Europe, de façon 100% à une automatisation complète des voitures. Et on va plutôt à des systèmes d'aide. C'est à dire qu'on est content que la voiture fasse un certain nombre d'automatisations. Mais pas tout. Ça va être la même chose pour la médecine où on sera plutôt dans le groupe 3, c'est-à-dire une automatisation conditionnée, c'est-à-dire sous contrôle du médecin. Ou éventuellement dans le 2 : une automatisation partielle, c'est-à-dire vous appuyez sur le bouton parce que vous vous décidez d'analyser votre scanner thoracique à la recherche des nodules ou la comparaison évolutive de la progression des nodules par exemple. Donc des implications de l’IA en santé qui sont extrêmement vastes.
On a vu un exemple qui est accelRare qui aiderait à réduire l'errance diagnostique pour les maladies rares, au moins les 270 qui sont ciblées ici, et à orienter vers les centres experts. Ça c'est la particularité française puisqu'on a des centres bien identifiés dans les filières de soins maladies rares. Et donc c'est un outil qui sera utile en support de l'approche médicale et dont on voit bien qu'il arrive d'ores et déjà dans notre pratique. Merci de votre attention. »
Regardez l’intervention du Pr REYNAUD-GAUBERT, sur les innovations thérapeutiques dans l’ASMD, en cliquant ici :
ASMD : Déficit en sphingomyélinase acide
CPLF : Congrès de Pneumologie de Langue Française
TDM : Tomodensitométrie
mMRC : échelle de mesure de dyspnée du modified Medical Research Council
BOM : Biopsie OstéoMédullaire
PBH : Ponction Biopsie Hépatique
SMPD1 : SphingoMyelinase PhosphoDiesterase 1
HDL : High Density Lipoprotein
LBA : Lavage Broncho-Alvéolaire
IRM : Imagerie par Résonance Magnétique
PID : Pneumopathie Interstitielle Diffuse
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